Y A TOUJOURS PIRE AILLEURS
Pire ailleurs
Quatre heures plus tard et après avoir loué plus ou moins docilement son corps à la science, Gilbert sortit de la pièce, encore un peu secoué par les ballonnements que ce toubib de malheur se fit un plaisir de lui créer en lui insufflant de l’air par où il n’osait se rappeler. Il eut envie de vomir et sentit ses grands yeux clairs briller, lorsqu’il vit la chaise où était censée l’attendre Marie-Loue, vide. Un sentiment d’angoisse l’oppressa et sa poitrine toute entière sembla compressée dans un étau. Il se mit à chercher dans les couloirs, dans les toilettes des femmes, dans certaines chambres sans s’excuser du dérangement, avant de songer à la cafétéria.
Une fois face au comptoir, il resta perplexe devant les bienfaits d’une eau minérale gazéifiée naturellement et alla s’asseoir vers sa femme :
- Tu le fais exprès ?
- Quoi ?
- Je te cherche depuis dix minutes !
- Et alors ! Tu m’as trouvée ! Je n’étais pas loin, tu vois, il ne fallait pas paniquer comme ça !
- Mais… je n’ai jamais paniqué !
- Essuie ton front, tu as des perles de sueur qui brillent !
Il l’examina un instant, sentit la colère dans ses veines et se calma, lorsqu’une infirmière à l’uniforme transparent lui fit un sourire.
- T’as dû aller allumer un cierge pour que je ne ressorte plus de cette chambre !
- Tssit !
- Avoue !
- On n’est pas tous comme toi, Gilbert !
- T’es vraiment une mauvaise femme !
- Mais oui, c’est çà ! Tu me l’as déjà répété et répété.
- Tu… C’est vraiment minable !
- Enfin Gilbert, si tu cessais un peu de geindre je pourrais entendre les oiseaux chanter dans ce parc magnifique ! Regarde comme ils ont bien arrangé les fleurs ! lui dit-elle, en lui montrant d’un geste royal le jardin magnifiquement entretenu.
- Il y a plus important que des plantes !
- Tu sais, à ta place je cesserais de me donner en spectacle, car ce que tu viens de faire comme examen n’est rien à côté de ce qui pourrait suivre ! Qu’est-ce que t’a dit le médecin ?
- On doit aller tout à l’heure pour les résultats.
- Je suis invitée ?
- Je suis invitée ? la rechigna-t-il avec agacement. On ne va pas à un cocktail ! s’énerva-t-il, en lui arrachant son magazine des mains. Carole Bouquet est plus intéressante que mon état de santé ?
- Ben… (Silence) Tu n’as pas eu mal au moins ?
- Ça va !
- Bon ! On va faire un tour en attendant ?
- La dernière promenade du condamné.
- Allons, ne sois pas bête !
Elle le prit par le bras et l’emmena dans le parc. Ils regardèrent les canards batifoler dans la marre et écoutèrent le bruissement des bambous se frottant les feuilles les unes contre les autres au gré du vent.
Après avoir repris quelques couleurs, ils retournèrent à l’intérieur pour aller entendre le verdict du spécialiste. Ils écoutèrent attentivement. Ou plutôt, Marie-Loue, l’écouta attentivement, Gilbert, semblait ailleurs et n’entendit pas le moindre mot, abasourdi par cette nouvelle. Le regard évasif et absent, il énerva et émut en même temps son épouse, sentant son instinct maternel la marteler.
- T’as entendu ce qu’a dit le docteur ?
- Hein ?
- T’as entendu ce qu’il a dit ? Ça prendra peut-être plus de temps que prévu.
- Ah, bon !
- Tout dépend de ce qu’ils trouveront une fois qu’ils t’auront ouvert.
- Bien sûr !
- Bon ! continua-t-elle, en se tournant vers le médecin et ne voulant insister, dès que vous avez les résultats définitifs, vous m’appelez, docteur ! finit-elle, en se levant et en tirant Gilbert par l’épaule.
Une fois dehors et retrouvant la civilisation, il reprit ses esprits en éradiquant complètement cet entretien et en se défoulant sur le premier venu à son esprit :
- Qu’est-ce qu’il croit ce petit freluquet de professeur, que c’est lui qui va décider quand me dépecer ? Ah ! il peut toujours courir ! lança-t-il à Marie-Loue en pleine rue, alors qu’elle se dépêchait pour attraper le bus les menant à la gare. S’il croit boucher un trou dans son agenda, il se met le doigt dans l’œil, moi je te le dis ! Et depuis quand les professeurs sont noirs ? finit-il, sans que Marlou ne relève cette remarque typiquement « Gilbertienne ».
- Tu iras quand le médecin te le dira, un point c’est tout ! lui répondit-elle, en tapant sur la machine à oblitérer les billets pour qu’elle lui rende le sien.
- Ah, ça te fait plaisir de savoir que je vais crever, hein ! lui reprocha-t-il, en oblitérant le sien avec virulence.
Il se battit un instant avec la machine, jusqu’à ce qu’elle lui mange la moitié de son ticket.
- Voilà, t’es content, je suppose ! J’espère qu’il y aura un contrôle ! le sermonna-t-elle, en faisant signe au bus.
- C’est le plus beau jour de ta vie, pas vrai Marlou ? lui dit-il, en s’accrochant à son bras comme s’il allait tomber d’un précipice.
Elle se débarrassa de sa main d’un revers du coude, il faillit chuter, se retint de justesse à la rampe, puis monta dans le bus en maudissant toutes les femmes de la planète.
Une fois assis l’un à côté de l’autre, elle le regarda comme un malheureux.
- T’en fais pas, t’es un dur à cuire ! Tu sais bien que tu nous enterreras tous ! La mauvaise graine, c’est résistant ! lui fit-elle, avant que le véhicule ne fonce à travers la ville.
Ce fut les derniers mots qu’ils échangèrent lors de cette expédition et les derniers de la journée, lui, allant boire des verres dans l’un de ses bistrots et elle, allumant la télévision et regardant une émission tirant et usant la corde sensible des téléspectateurs. Marlou adorait ce genre d’émission. Ça lui permettait de voir qu’il y avait toujours plus malheureux qu’elle. Qu’il y avait toujours pire, ailleurs, caché derrière les murs.
chapitre deux du manuscrit : CANCER JOYEUX écrit il y a quelques années en arrière
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