Post-syndrome de la veuve joyeuse - Je t’ai eue ! - La morue - Atterrissage d’urgence
Post-syndrome de la veuve joyeuse
J’ai décidément beaucoup de peine à fermer les yeux. Je ressasse le passé, ces sales moments où ma vie a basculé. Les traitrises endurées par ces lâches semblant y prendre un malin plaisir. Observant ma déchéance comme une aubaine, un bienfait pour leur avenir. Je n’arrive pas à oublier ce jour ou j’avais été salement amoché par les traitements. Je n’avais pas même pu aller faire ma partie de poker et botter le cul de ces nullards se prenant pour Patrick Bruel ou Chris Ferguson. Parce que, il faut voir la dégaine du champion quand je suis au top ! Non pas que je m’identifie à cet illuminé d’homme d’affaires inspiré, mais je dois bien admettre en avoir, pour ce qui est d’allonger les coups de bluff à ces trois lascars me servant de partenaires. Des amis, je ne dirais peut-être pas çà, plutôt des bons potes, admiratifs et respectueux, mais n’attendant que le moment propice pour m’asséner le coup fatal, pour me défroquer et me voler jusqu’à mes couronnes en or. S’ils perdent pas mal d’argent à chacune de nos rencontres, ils ne peuvent s’empêcher de revenir, en bons masos qu’ils sont. Nous entretenons une étrange relation, mes trois couillons et moi-même. Un peu comme si un lien incestueux entre frères de poker nous mettait mal à l’aise à chaque fois. S’ils aiment la fessée, il va de soi qu’ils aimeraient tout autant me voir mordre la poussière. Je ne leur avais rien dit à propos de ma chère tumeur, même s’ils devaient se douter de quelque chose vu mon état. Il faut dire qu’elle n’y allait pas de main morte. Et vas-y que j’enfonce mes crocs dans la chair vive, histoire de voir s’il y a quelqu’un à la maison. T’as eu ta réponse. Quarante et un degré de fièvre et cinq jours au lit sans bouger ni même beugler.
Au moins ça m’a ramené ma Jeannine. Il fallut que je sois au bord du gouffre pour qu’elle se ramène, mais je l’ai vue. Toujours aussi belle, aussi fringante, sa crinière de lionne éclatante et ses dents parfaitement alignées et brillantes. Plus je me déglinguais et plus elle embellissait, il me semblait. Sans doute le post-syndrome de la veuve joyeuse qui se mettait en place… Une belle vacherie. Plus elle s’éloignait et plus je la désirais. Classique, me direz-vous… Et ça, chère tumeur en crise de reconnaissance, dis-toi bien que c’est quelque chose que tu ne pourras jamais m’enlever. Aussi virulente et mesquine seras-tu. Aussi diabolique et efficace sois-tu à peaufiner tes plans tordus pour me mettre à terre, mais crois bien que je n’ai pas dit mon dernier mot !
Je t’ai eue !
C’était en février, je m’en souviens précisément car un événement pareil pour un cancéreux comme moi ne s’oublie pas. Lorsqu’on contracte ce genre de mal, on se réfère à de drôles de souvenirs. Le premier lever de lit, le premier caca dur, le premier flan, la première nausée, les premiers cheveux qui repoussent, la première érection, etc. On virevolte dans un univers saugrenu et absurde, mais nous ne nous en rendons pas compte, fort heureusement pour nous. Je me suis dit à ce moment-là : Je t’ai eue ! Avoue que tu ne t’attendais pas à un tel sursaut de vie. Je t’ai vaincue, même si ce n’est qu’une petite bataille, sois donc bon joueur pour une fois et fous-moi la paix un moment pour de bon.
Lorsque la petite infirmière est venue à la maison prendre ma température l’air inquiet, je peux vous assurer qu’elle a très vite changé de couleur en voyant la chose. Il faut dire que je ne m’en étais pas vraiment rendu compte. Le dragon s’était réveillé et le volcan était en ébullition.
Là tu ne faisais plus la maligne. Tu l’a mis en veilleuse, vieille relique qui croyais m’avoir achevé. Et bien désolé de t’avoir déçue, mais le bon vieux Edy était toujours debout, une légère oscillation dans le caleçon et prêt à retourner dans le monde des vivants.
Qu’est-ce que tu dis de ça, toi la pince-sans-rire qui fais de mon corps une vraie charpie ?
La morue
J’avais inspiré un grand bol d’air et direction le seul endroit pouvant me donner ce dont j’avais le plus besoin après ce petit sursaut de reproducteur. Pas long avant de dégotter une friandise, ce domaine ne connaît pas la crise.
Je l’ai invitée chez moi, lui ai demandé de s’installer sur le fauteuil pendant que je lui versais un verre de vin blanc. Elle m’auscultait d’un œil intrigué, examinait chaque geste du sexa que je suis pour deviner mes intentions. Depuis, elle a sûrement raconté qu’elle s’est envoyée en l’air avec un vieux croûton, mais je n’en ai rien à faire. Qu’elle soit bien plus jeune que moi et pas loin de l’âge de ma fille n’était pas un problème en soi, mais qu’est-ce qu’elle était moche ! Il faut dire que je ne suis pas en position de faire la fine bouche, pour le moment. Non pas que je prends ce qu’il y a, mais bon, c’est un peu ça tout de même. Un beau thon pour au moins ne pas trop avoir honte si le mas ne devait pas se lever.
Comme si ça avait moins de conséquence auprès d’une guenon. Je me dégoûtais d’être aussi suffisant et sélectif alors que c’est la sagesse qui aurait dû me guider. Même au bord du gouffre je restais élitiste et sectaire : un vrai magistrat en somme. Arriver à mon âge et en être encore là était désolant, je le savais, mais je n’y pouvais rien. Incontrôlable. Pour consolation, je me disais que je n’étais pas le seul, l’homme n’est-il pas esclave de ses pulsions depuis la nuit des temps ?
Quand elle a posé ses petites mains boudinées sur mon torse, j’ai cru que j’allais m’envoler comme un ballon. Que le kérosène allait m’enflammer pour me consumer aussitôt en m’envoyant au septième ciel. J’avais la voix aussi étrange que lorsqu’on aspire de l’hélium. Carrément à l’Ouest le Edy, mais c’était agréable. Elle me touchait comme si j’étais la huitième merveille du monde. Un roc d’un autre âge mais bon Dieu de bon Dieu, un roc solide et prometteur ! Iceberg droit devant, attention à toi ma petite mocheté, ça promet du caliente.
Que du bonheur. Rien que ça m’aurait suffit. Une attention bienfaitrice. Un petit geste qui met du baume au cœur et puis… et puis on passe aux choses sérieuses et c’est là que tout se complique. Que tout dégringole lorsque popol fait son caprice. C’est que depuis que je faisais des rayons, ça ne se bousculait pas au niveau sensation. La saucisse en prend un méchant coup et elle était plus souvent sur six heures trente qu’à midi.
Un ou deux mensonges bien placés histoire de préserver cette jeunesse et de respecter la bienséance, un air désolé et ses seuls bras pour réconfort de cette impuissance persistante me faisant perdre pied de jour en jour. Je retombais âprement le museau dans mes cellules cancéreuses. La jeune fille prit sa revanche en riant de coin. Bienséance, mon cul, oui ! Un de ces sourires goguenards qui en dit long sur mon avenir. Cette jeunesse insolente, même si elle n’a pas la beauté méchante n’en reste pas moins cruelle et sans pitié. Vindicative, comme un couperet et cette sensation perçue dans son regard de ne plus déjà faire partie de la vie.
Ensuite cette moche-de-nuit m’a donné le prix de sa prestation, à moins que je ne doive parler ici de frustration, en profitant de ma faiblesse pour me chouraver deux billets de plus. Pour le choc « post-trautique », a-t-elle dit d’un accent slave à couper au couteau. Je crois qu’elle voulait dire : post-traumatique mais quand on n’a pas été à l’école, voilà ce qui arrive. Chacun son destin. Retourne au bal des moches pour te dégoter un bon gros laideron plein aux as, ça existe, et arrête de lapider les pauvres cancéreux en recherche d’un peu de chaleur humaine. Mais c’était de bonne guerre.
Il faut que je me fasse une raison et à l’idée de devoir coucher avec des morues à l’avenir. Ne dit-on pas qu’elles sont les plus performantes et les meilleurs thérapeutes…? D’une pierre deux coups, tout en m’astiquant la biroute je lui sors quelques banalités et deux trois souvenirs larmoyants. Un vrai plaisir… S’il y a bien quelque chose qui émoustille encore les donzelles en me voyant, c’est l’espoir de voir s’ouvrir mon porte monnaie bien rempli, et là, soyons franc, putain ou pas, qu’importe…
Je ne suis pas dans la merde, me dis-je en la regardant sortir de chez moi, un air de vainqueur tatoué sur le visage. Déjà que vivre avec cette saleté sur le dos m’était pénible à chaque seconde que faisait l’existence, chaque souffle que la vie me laissait inspirer, mais en plus, je devais supporter toutes ces humiliations descendant à gros boulets ma dignité d’homme. Tout ce qui me reste. Un semblant d’homme. Comme s’est dégradant. Comme c’est désolant et déprimant.
Atterrissage d’urgence
J’ai pu échapper aux gardes en feintant des nausées pour aller aux toilettes. Y faut dire que j’ai de l’expérience dans le domaine. J’avais besoin d’être seul un instant, de faire le point et de réaliser ce qui m’arrive. Juste le temps d’écrire ce qui s’est passé ce matin lorsqu’on a atterri d’urgence à Hafar Al-Batin, en Arabie Saoudite.
Ils ont été très professionnels dans la cabine, mais je le sentais moyen cet arrêt. Ça a secoué sacrément à l’atterrissage. L’aéroport domestique n’est pas équipé pour un si gros appareil, aussi nous ont-ils sorti de là du mieux qu’ils ont pu en déployant les toboggans gonflables. On a débarqué sur le tarmac sans effusions ni crises d’hystérie ou de panique. Religieusement ils nous ont lancé sur cette matière gonflable pour être réceptionné par un agent de l’aéroport tout vêtu de blanc, sa dishdash et ses moustaches lui allant à ravir. À mon âge, faire des glissades par 40° de chaleur à 5000 km de chez moi !
Tandis que je regardais partir les autres passagers vers le bâtiment principal, un homme me demanda de me mettre sur le côté et d’attendre sagement. Une voiture noire a déboulé de nulle part, elle s’est arrêtée devant nous sans que je me sente concerné. Le gamin paraissait comme drogué. Apparemment il ne tient pas l’alcool. Un bémol de plus au métissage. On va finir par donner raison aux eugénistes chinois.
On nous a amenés ici, dans un vieil hôtel en dehors de la ville. Je n’ai pas bien compris ce qui se passait, mais ce que je sais, c’est que je suis le seul passager à être parti en limousine noire. À croire qu’un magma du pétrole voulait me faire de l’air avec ses dollars en éventail.
Je crois qu’on vient, j’ai peur, ces gars n’inspirent guère la sympathie. Tout ça n’a pas l’air très franc du collier et ils n’ont pas l’air de bien s’entendre. Ça n’arrête pas de s'injurier et de se bousculer. Qu’est-ce… qu’est-ce qui se passe, j’entends des voix, c’est Chris. Oh mon Dieu, ça gueule, ça hurle, j’en ai la chair de poule, on dirait qu’ils lui font sa fête. J’entends des claques lancées avec force, ce qui ressemble à des coups de poings. Le pauvre gosse. Oh ! Non, c’est pas vrai. Dites-moi que je vais me réveiller. Ils ont tiré un coup de feu et je n’entends plus rien de l’autre côté. Ils arrivent, il faut que je planque ce téléphone dans mes bottes avant qu’ils ne le découvrent. Je n’y comprends rien et je suis glacé de peur. Pétrifié. Si quelqu’un lit ce message, appelez la CIA ou je ne sais quel foutu gouvernement car je suis réellement en danger. Je…
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