T O U S D E S A N G E S

T O U S         D E S          A N G E S

NOUVELLE AYANT CONCURUE POUR LE CONCOURS DE L'HEBDO ET M'AYANT AMENE A LA RADIO

Voici donc l'accusée ! Celle qui m'a mené tout droit à la radio et pour mon grand plaisir... Voici celle qui a osé, qui n'a pas eu froid aux yeux et qui je l'espère vous fera sourire comme elle a fait rire le jurry d concours de nouvelles de l'Hebdo, mais qui ne l'a pas choisie malgré çà. Il faut dire qu'il faut oser la publier. Surtout dans un genre policier et un magazine plutôt sérieux... Dommage qu'ils n'aient eu l'audace de la choisir et d'en faire un exemple d'originalité... Mais bon, l'essentiel et comme je l'ai dis à Daniel Fazan est d'avoir fait rire. Je crois que c'est chose faite.

A vous de rire, pour autant que ce genre d'humour vous parle...

Attention aux mots de patois vaudois !!!!

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Fatales Étoiles

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            Le parcours VITA de St-Légier, s’il peut paraître difficile en certains endroits, voir traître, n’en est pas moins sûr pour autant. C’est en cet endroit pourtant que le corps d’un pauvre malheureux se vit embroché tel un morceau de bœuf sur une brochette.

 

L’inspecteur Regamey regardait ce spectacle d’un air dubitatif et circonspect. « Qu’est-ce que ce gros lard a bien pu foutre pour se planter sur ce pieux ? » songea-t-il, en remarquant le sang encore frais maculant la branche criminelle. Faisait-il partie d’une secte ? Adepte de pratiques extrêmes ? Trop lourd ? Maladroit ? Dispute ?

Ce qui était certain, c’est qu’avant de chuter la victime n’était pas seule. Des traces semblaient avoir été effacées. Pourquoi aurait-on pris la peine de les gommer si on n’avait rien à cacher ?

 

            Regamey retint son souffle tandis qu’un coup de bise le sortait de sa réflexion. Il releva la tête pour ne pas vomir ses tripes à la neuchâteloise qu’il avait savourés le midi, se frotta nerveusement la nuque en pivotant sur lui-même tout en observant les alentours. Seule une bouteille de vin paraissait connaître le fin mot de cette affaire. Posée sur un banc, elle semblait attendre qu’on la déguste.

 

            Paupiétté dans une chemise blanche à rayures noires, le ventre de la victime débordait du tissu trop étroit pour contenir une telle masse. Son pantalon brun en lin avait épongé l’hémoglobine et ressemblait plus à une panosse mouillée qu’à autre chose.

 

Regamey se tourna vers un gendarme : « Vous connaissez ? »  l’interrogea-t-il d’un ton condescendant.

-       Quoi, la bouteille ? répondit l’homme au fort accent vaudois.

-       Pas le pinard, lui ! précisa-t-il en montrant le corps du menton.

-       Ah c’te bedoume ! Bien sûr. C’est Faisan ! répondit-il en pensant que cette information suffisait.

-       Faisan ?

-         Oui, Denis Faisan, vous savez, le critique gastronomique. Il a sévi sur les ondes de la radio, dans le passé, il me semble. Une vraie batoille quand il s’y mettait ! A dû déguiller en bas le précipice un verre à la main.

-       Pardon ?

-         Denis Faisan, répéta-t-il, agacé. S’il avait su qu’il allait finir comme ça, peut-être   n’aurait-il pas repris du métier ?

-       Il avait arrêté ?

-       Ben ouais ! N’êtes pas au courant ? Pré-retraite, petits fours et larmes de crocos avant de céder au chant des sirènes… ces stars j’vous jure !

-         Désolé ! Je ne connais pas ce monsieur ! bredouilla l’inspecteur, observant plus minutieusement la tête du défunt tournée vers lui, mais à l’envers et paraissant reluquer la bouteille posée sur le banc en rondins de sapin.

 

Regamey, de son côté, évitait du regard ce nectar. Cela lui rappelait de bien trop pénibles moments. Le temps de la résistance, de souffrance. Et voilà que devant lui se dressait tel un serpent ce délice. Cette vision était diabolique à ses sens. Ses démons se réveillaient soudain et le rappelaient au bon souvenir de ce grand cru s’exhalant dans le dévaloir et demandant son dû. Il en rageait. Quatorze mois qu’il résistait et se privait de cet enivrant plaisir et voilà qu’au moment où il se sentait le plus en phase avec son problème de bibine, une affaire de pinard lui tombe dessus ; lui picote le tarin et lui enflamme le gosier.

 

-     De bleu de bleu la canfrée, reprit le gendarme de sa voix grave, encore un qui devait crier famine ! Si c’est pas malheureux ! Faut être complètement badadia. Y devait godailler à toutes les tables ! Regardez-moi ce travail, encore une heure ou deux et la branche va céder, je vous…

-     Oui, oui ! Bon ça va maintenant ! le coupa Regamey. J’ai compris. Merci pour vos précieux renseignements et n’allez pas trop loin, j’aurai encore besoin de vous. Allez flâner aux alentours et essayez de trouver quelques indices auprès de témoins, s’il y en a.

Il montra du regard des marcheurs et des joggeurs s’accrochant aux banderoles de protection et posant des questions aux policiers. Il faut dire que le spectacle était prenant.

 

      Le gendarme tourna les talons et s’engagea sur le chemin menant aux curieux. Regamey le rappela.

-       De la famille ?

-       Un chat, je crois ! Pas d’enfants, j’ai vérifié. Et pas de femme. Du moins pas que les voisins sachent. Je vais voir la personne qui nous a téléphoné, peut-être en ressortira-t-il quelque chose.

 

L’inspecteur secoua la tête, et ne pouvait décoller les yeux de la bouteille de vin. Un si bon cru, aux mains d’une affaire criminelle, qué misère… Après quelques secondes d’hésitation, il s’avança vers elle pour y admirer l’étiquette. « Yvorne, Magnus Corpus Grand Cru», comme par hasard son vin préféré à croire que cette affaire devenait de plus en plus satanique. « Tiens dont, notre cochon de lait était un adepte des assemblages» se fit-il la réflexion en faisant un signe de la main pour qu’on descende ce pauvre malheureux de son perchoir. Trois agents haussèrent les épaules, impuissants face à ce gros dilemme.

 

      « Qu’est-ce qu’il vous faut, une baguette magique ? » les sermonna-t-il, exaspéré. « Qu’est-ce que c’est que ces bedoumes qu’on engage ? » grommela-t-il dans sa barbe de trois jours et de plus en plus offusqué. Il ordonna à un novice de fermer délicatement cette bouteille, qui l’hypnotisait dangereusement telle une de ces danseuses du ventre. « Vous la poserez sur mon bureau, c’est compris ? » Le garçon s’exécuta en dodelinant la tête et ne demanda pas son reste pour disparaître. Il se dit que ce vieux con ne faillait pas à la réputation qu’on lui vouait. C’est que Regamey avait de la bouteille dans le métier. Et ce n’était pas un euphémisme. Trente-trois ans de service. De bons et un peu moins loyaux services. Beaucoup d’embûches, d’accrocs et de démêlées avec la justice. Mais toujours debout et prêt à l’emploi. Il faut dire que lorsqu’on ne savait pas trop quoi faire d’une affaire, on la lui refourguait ce qui arrangeait tout le monde. Aussi, était-il toléré et non aimé. Un statut qui ne le gênait pas du tout, bien au contraire. De ses collègues, lui n’avait envie de savoir qu’une seule chose : leur jour de congé de façon à pouvoir se réjouir, voir être soulagé de se savoir avec un tel plutôt qu’un autre.

Des collègues, il en avait vus de tous acabits et de toutes les couleurs. De bien tristes mystifiant le métier plus que le servant, et de bien sombres à qui il n’aurait donné à garder pour rien au monde le seul larbin qu’il avait réussi à concevoir à sa Linda, une excentrique travaillant à la santé publique. Les gamins ce n’était vraiment pas son fort, mais encore moins celui de celle qui fut en tout et pour tout son épouse durant six mois. Une folle, une hystérique cherchant un géniteur, comme une tête chercheuse sa cible.

 

      Sa vie n’était guère à envier, mais il l’assumait. Tous ces jeunes fringants, se la pétant et roulant des mécaniques avec leurs prises de Kung-Fu et de capoeira exécutées devant tous ces gallinacés, lui donnaient de l’urticaire. Plus que trois ans et c’était la quille. Il n’y avait que ça d’important dans sa foutue vie. Que çà, et il était bien déterminé à tout faire pour y arriver. Ce n’était pas une bouteille de pinard qu’un imbécile avait oublié sur un banc qui allait lui entraver cette perspective toute tracée. Oh non ! Et encore moins ce pourceau suspendu à son cure-dent. Tssit ! Critique de pique-assiettes et pourquoi pas le gouteur de Cléopâtre. Non mais, pour qui se prenait ce gourou des toqués. Cet accrocheur d’étoiles gourmandes. Cet allumé de la plancha et des tapas rafistolés aux saveurs locales pour qu’on puisse dire qu’ils sont un produit du terroir.

 

      Lorsqu’il arriva au-dessus de la scène de crime, il entendit un moteur de machine de chantier venir vers lui. Tout ce vacarme l’empêchait de réfléchir. Il se pencha vers le vide, observa les traces sur le sol afin d’y déceler un indice. N’importe quoi d’autre que cette bouteille, sans doute déjà posée sur son bureau et l’attendant pour le tester. Un petit défi de dernière minute. Un risque pouvant l’expulser des services de police à jamais et le faire se retrouver à saucissonner des boyaux de porc jusqu’à l’ère du recyclage. Mais un risque qu’il voulait prendre. Vaille que vaille ! songea-t-il en sursautant lorsqu’une pelleteuse vint s’arrêter tout près de lui. Le conducteur lui fit signe de la main. Des agents arrivèrent en courant, les mêmes qui brandissent leurs tablettes de chocolat et leur petit pois leur servant de neurone. Ils arboraient des sangles et des crochets, un vrai équipement de grimpeur initié. Regamey était au parfum pour avoir été enrôlé dans une patrouille des glaciers. De vrais topios, se remémora-t-il, en se revoyant marcher de trabiole et tirer la langue derrière ses toyets de service.

 

      Un bruit assourdissant le fit sursauter. Alors que niolu-Spiderman avait presque réussi à fixer un harnais à la ceinture de Moby Dick, la branche céda et le corps s’écrasa sur le sol dans un fracas inouï. Regamey ferma les yeux en soupirant devant pareil spectacle. Faisan n’était plus qu’un  papet vaudois.

 

      Il alla voir le corps de plus près, en fit le tour, intrigué et suspicieux. S’il était bien portant, Faisan n’avait pas l’air d’avoir besoin d’un tintébin pour se déplacer de son vivant. Cela confortait son idée de meurtre. Et sans doute y avait-il un lien entre ce bon cru et la chute de ce malheureux.

 

Arrivé face à la tête du défunt, le regard songeur, Regamey fut approché par son gendarme préféré : « Devait pas boire n’importe quel penatset ! » lança-t-il sous l’œil sombre de l’inspecteur lui suggérant de se faire un peu plus petit que ce qu’il n’était déjà. « Du neuf ? » demanda sèchement Regamey.

 

      Le gendarme se racla la gorge, expliqua avoir discuté avec un sportif ayant vu et entendu la victime bataillant avec un homme de taille moyenne, aussi sec qu’un haricot. Ils en seraient presque venus aux mains en abordant le sujet du nombre d’étoiles attribuées au restaurant de l’agité.

Après que le gendarme eut fini ses explications, Regamey lui demanda si ce témoin les  avait vus boire du vin de cette bouteille, ce à quoi il ne put répondre. « Bien sûr que vous l’ignorez ! Vous ne savez rien en fait ! »

 

     L’inspecteur tourna les talons et rejoignit sa voiture. Tout en roulant, il songea à ces nombreux chefs soupe au lait ne supportant la moindre critique. Il les connaissait bien ces toqués du fourneau. Ces passionnés des saveurs et ces perfectionnistes de l’esthétisme de l’assiette. Il avait eu la chance de les avoir testés à plusieurs reprises. Il savait de quoi ces magiciens étaient capables. Ces enjoliveurs des papilles. Il n’ignorait pas qu’un chef, pour défendre son art majeur et son égo… Mais de là à tuer…

 

 

                 Devant ce nectar lui titillant tous les sens, le regard vide et enivré, Regamey resta stoïque, assis sur sa chaise de bureau où il s’était enfermé à double tour, bien en face de cette ensorceleuse. Une tête de veau de chez Germain, son chef préféré, et il aurait pu être en cet instant le plus heureux des hommes. Qui a dit que les câlins c’était mieux qu’une bonne bouffe, songea-t-il en salivant et en se frottant le menton, avant de se lever d’un bond et de fondre sur cette démente.

 

 

     Vingt-quatre heures plus tard le commissariat était en effervescence, le bureau, du plus vieil inspecteur de la brigade, fracassé par les forces d’interventions spéciales. Regamey avait sifflé le seul indice d’une affaire des plus louches que la police de l’Etat de Vaud n’ait eu à élucider. On le retrouva à même le sol, après qu’il eut fini la bouteille, amorphe et en plein délire lorsqu’ils le secouèrent pour le ramener dans la réalité. Il n’avait pu résister, alors même qu’il savait que le vin était empoisonné.

 

     Il avait perdu sa bataille. Avait rendu les armes face à cette ensorceleuse connaissant ses moindres faiblesses. Et il en fut soulagé quelque part.

 

     Il fut radié de ses fonctions sur le champ, quand bien même il aurait été le seul à pouvoir élucider cette sombre affaire, et il se consola en refaisant copain comme cochon avec Bacchus, le seul qui le comprenait vraiment dans ce monde de bruts et de poulets élevés aux grains transgéniques.

 

 

 

 

© 2013 - Didier Leuenberger - Tous droits réservés.      

 

 

 



22/09/2013
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