T O U S D E S A N G E S

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Mon continent

Mon continent

Récit d’une île

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A dix-huit ans, j’étais une île. Tandis que mon terrain fertile n’attendait qu’à livrer ses secrets sertis d’innocence pour enfin naître et se parer de couleurs, le continent tant attendu me heurta de plein fouet. Un tourbillon s’ensuivit et me rendit toute étourdie. D’abord perdue, je fus très vite enivrée par les âpres senteurs que dégageait ce bout de terre. Des odeurs de fougère, de sphaigne et de mousse, de terre et de pierre ainsi que d’épicéas me firent garder mes distances, avant que la chaleur ne m’inonde d’un étrange bien-être. Du moins, d’une sensation que jamais je n’avais connue jusqu’ici. Dans ce fatras d’émotions desquelles j’avais de la peine à me frayer un chemin, il s’arrima à ma terre en l’effleurant doucement, d’abord, pour ne plus me lâcher ensuite, à moins que ce ne fut moi qui me sois chevillée à ce fascinant continent de contrastes et de nature sauvage.

 

Ses côtes abruptes, si elles se voyaient parfois tranchantes et escarpées, n’en demeuraient pas moins le pari le plus fou jamais vécu de toute ma jeunesse. Il me fallait m’armer de courage et de nombreux stratèges pour atteindre ses landes, que je pouvais humer, mais je m’étais entêtée à y arriver. Les fragrances qui s’en dégageaient étaient des plus attirantes et désarmantes en même temps. Je ne savais pas vraiment ce qui m’attendait, une fois en haut de ces falaises mais je savais que je devais y aller. Quelque chose d’irrésistible et de dangereux en même temps m’attirait et sans que je ne puisse réfuter cette appétence que je devais absolument rassasier. Je n’étais pas dupe malgré mon jeune âge. Je savais bien que le dragon du château qui était là-haut serait de taille, mais j’étais prête au sacrifice.

 

Je n’avais pas à rougir de mes formes ni de mes failles. J’étais ce qu’on pourrait appeler, un îlot en devenir où il faisait bon s’y blottir. J’avais en moi une étrange maturité renvoyant, jusqu’aux frontières les plus reculées de mes terres, un sentiment de bien-être. Je n’avais pas de hautes montagnes. Point de bruine s’accrochant à des rochers épars que j’aurais pu perdre de vue. Non, ma terre sentait bon l’humus et la fraîcheur de ma jeunesse, un délicieux jus de béatitude. Une franche odeur de noisetiers et de châtaigniers attirait tout être vivant à la ronde, qu’il soit empreint de magie où embrasse mère nature. Toutefois, des torrents souterrains se targuaient de pouvoir me faire basculer à tout instant. Ma jeune roche se voyait ébranlée par de puissantes secousses malmenant jusqu’à mes reliefs, tant les canons grondant en mon for intérieur se voulaient puissants et cinglants. Derrière l’apparence, il y avait la contenance et tout ce que cela impliquait. Mes desseins étaient pures, certes, mais les fréquents dérèglements altérant la mécanique de mon cœur, une entrave à stabiliser mon embarcation. La douceur de mes collines verdoyantes contrastait d’avec mon noyau de feu qu’aucun continent jusque-là, n’avait su dompter.

 

Une fois plus avancée dans les terres, je savais qu’il me serait difficile d’accéder au cœur de ses entrailles, en comprendre tous les tourments, les vents puissants et les paradoxes que laissaient transparaître les lignes de pics encerclés de nuages. Ce trublion de Piton se moquait bien de ces terres vierges tentant de le séduire. Lui, ce qui lui plaisait, ce qui lui plaisait vraiment, c’était se jouer des nuages, les tourmenter en les attirant d’abord, vers son sommet auquel aucun nimbus ne pouvait résister. Un sommet fier et fragile en même temps. Beau et dangereux à la fois.  Téton de calcaire ayant sustenté les Dieux, semble-t-il, ou nourri les espérances les plus folles et contribué aux légendes les plus saugrenues. Là, dans ces tours du château fort, bravant la nuit, où je m’imaginais qu’il faisait en permanence sombre et où la tempête y régnait en seigneur, jamais je n’aurais pu m’y aventurer, je le savais. Même si mon esprit flibustier m’y poussait, j’avais assez de bon sens et n’étais pas assez amourachée de ce continent pour m’y hasarder, à moins que la peur d’être séduite  pour un pareil bout de terre ne me flanque tout simplement la pétoche. Une peur bleue, une peur si féroce en soit, qu’elle ne reflète en fait que ce pourquoi j’avais pris la fuite et voguais au gré des courants en préférant les océans tourmentés et sombres aux continents emplis de mansuétude et de bienveillance.

 

Il faut dire que la vie jusque là ne m’avait guère épargnée. J’avais déjà de profondes crevasses que la vie sut me léguer et m’infliger. Elle n’avait pas été vraiment tendre avec moi, mais je restais à flot. C’est un pari que je me faisais chaque jour vécu. Je devais résister et ne pas sombrer. Je devais garder pour mes vingt ans la douceur d’un îlot harmonieux et équilibré. Je me battis contre des moulins à vent, et je ne m’en vante pas ici, mais jamais je n’ai désespéré et cru que je pourrai un jour être engloutie par la houle. J’étais confiante. Presque trop sûre de moi. Je ne sais d’où me venait cette force, mais je la ressentais tous les jours, et lorsque les vents étaient trop forts, lorsque les vagues malmenaient mes parois et mes canyons, je serrais les dents et limitai les dégâts. Je ne pense pas avoir été trop abîmée. La beauté de mes plaines vertes annonçait un printemps éternel que nulle terre n’aurait souhaité convoiter. Malgré les affres, les aléas et les marques, je restais un éden plein de promesses mais aussi un animal sauvage à dompter. A apprivoiser. J’avais déjà échoué en bien des endroits, d’autres continents, certains se distinguant par des dialectes aussi divers que la couleur des feuilles d’un érable, mais aucun ne sut me garder. Aucun ne sut planter ses serres et me marquer de son sceau assez profondément, pour que je ne me laisse porter par les vents et m’en retourne vers l’inconnu.

 

 

Et voilà que je me laissai approcher. Frôlée par ce continent m’invitant au repos. Reléguant ma méfiance au rang de figurant et ralentissant le temps au gré des merveilles. Un rien m’enthousiasmait : une chute se déchaînant après un hiver l’ayant capturé dans la glace, des anémones parcourant les chemins des bois telle une guirlande nous amenant en un endroit précis, des sapins dignes et fiers, des hêtraies flamboyantes à l’automne… et puis il arriva alors que je m’étais imaginé le pire.  En lieu et place du dragon, c’est un prince qui m’accueillit ici. A moins que la bête se vit être atteinte d’un maléfice, me permettant de la voir ainsi.

Mais tout ne se fit pas aussi aisément qu’il y paraît. Ce continent avait beau se parer du plus bel effet en mettant en exergue ses forêts luxuriantes et ses arbres qui semblaient ne vouloir en faire qu’à leur guise, je n’en demeurais pas moins une terre fragile et ombrageuse à conquérir. S’effritant ici et là de quelques démons et souvenirs à ne pas mettre entre toutes les mains. J’avais beau recevoir chaque jour des torrents de générosité et de bonté, de beauté et de quiétude, j’avais de la peine à m’installer, à accueillir à bras ouverts cette opportunité, de déposer les armes. Je me rendais bien compte que quelque chose n’allait pas, aussi beaux étaient les endroits où j’aimais me perdre. Je réalisais en me laissant approcher de plus en plus au fil du temps, combien mon terreau était sensible au moindre changement d‘humeur. Combien le noyau qui me permettait de vivre, était complexe et ambivalent. Dépendant d’un passé houleux et malheureux. Aussi, en fallut-il des matins gelés et des soirées à l’orange flamboyant s’écrasant contre les vieilles pierres du château, pour qu’enfin, je plie et m’avoue vaincue. Que j’embrasse la terre m’ayant accueillie, que je l’enlace en y déposant toutes mes peurs, mes doutes et mes faiblesses, car l’on ne se livre jamais autant que lorsqu’on s’abandonne de la sorte. Peut-être est-ce en premier lieu en cela, que ce continent me bouleversa et m’incita à persister.

 

Sa générosité, la quiétude que cela me permit d’épouser, me convint que je ne faisais pas fausse route, et m’encouragea à rester encore et encore. C’en était troublant, pour l’autodidacte et l’épicurienne  que je suis.  Moi qui avais volé le savoir plus que de l’acquérir par des maîtres ; qui cherchait sa place, ne pouvant déterminer avec précision où l’avenir allait me conduire. Et voilà que tel un Alien je me vois possédée par la beauté de ce coin du monde, sans ne plus pouvoir m’envoler. Sans même, n’avoir besoin de dire et me sentir heureuse.

 

Voilà comment j’ai échoué ici, moi l’électron libre cherchant une terre. Cherchant un ancrage solide où planter mes racines et de vous à moi, je vous le dis, m’être laissée apprivoisée par un tel continent fut sans le moindre doute ce qui m’arriva de mieux et de plus enivrant.

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23/08/2014
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