Le Voyage improbable d'Eouard Leboeuf, chapitre 5 & 6
Bonne nouvelle
Je m’en suis plutôt bien sorti. Je n’ai pas fait long feu à l’hôpital, tout s’est bien passé après l’opération. Seuls mes rendez-vous pour les rayons me rappellent ce que j’ai déjà enduré. Aucune complication. Je suis donc en rémission, mais je suis à l’affût de tout ce qui pourra m’aider : cure de jouvence, thérapie cellulaire, remède miracles, herbes de druide, et au pays des charlatans, les rayons son garnis. Pour dire à quel point je suis ouvert et pitoyable, c’est que j’ai cédé au chant des sirènes de mon fils, j’ai repris rendez-vous chez le gourou que Xia He lui a soi-disant conseillé pour moi. Un spécialiste dont la fiancée de l’Empire du milieu a été conquise par ses prouesses de guérisseur. Un vrai messie capable de miracles, selon ses dires…
J’y suis donc allé une première fois, pour voir de quoi il en retourne. Je me suis laissé faire, comme une pucelle sans défense face au dandy de la classe. Une vraie chiffe molle. Je ne sais absolument pas ce qu’il m’a fait. Je ne pourrais pas le dire, il me semble m’être assoupi peu de temps après qu’il m’ait badigeonné d’un onguent de plantes médicinales à l’aide d’un tampon fluorescent. Oui, ça je m’en souviens, une drôle de couleur, un aspect inquiétant avant que je ne m’effondre.
Je n’ai pas dû attendre jusqu’au prochain rendez-vous fixé normalement dans deux semaines, pour avoir des nouvelles. Le cabinet m’a appelé ce matin et m’a demandé de me présenter au plus vite. Quelque chose de très important. Une bonne nouvelle, vu le ton employé et l’engouement de la secrétaire médicale.
Je n’ai pas hésité une seconde. J’ai pris ma veste, ai descendu les escaliers de l’immeuble deux à deux et me suis empressé d’aller chez le niak, histoire de voir de quoi il retournait. Ce n’est pas souvent que j’ai l’occasion de savourer une bonne nouvelle ces derniers temps. Même si ça me vient de l’empire des Chinetoques, je prends.
Arrivé au cabinet, le docteur était très excité. On aurait dit qu’il avait pris quelque chose. Ses yeux sortaient presque de ses orbites et il semblait avoir une patte folle. Ses petits mouvements frénétiques de pied frappant le linoléum n’en rendaient que plus questionnant son état.
J’ai d’abord pensé à une farce, puis, je me suis dit qu’il m’avait appelé sous l’effet des narcotiques qu’il avait dû ingurgiter en oubliant le cortège du premier mai.
Mais du con avait toute sa tête malgré les apparences. Moi, un peu moins, semblait-il. Les effets sans doute, du pétard que Franck avait partagé avec moi sur mon canapé. À moins que ce ne soit à l’hôpital. Tout est un peu embrouillé dans ma tête ces temps-ci. J’ai bien de la peine à dissocier le réel du fantasmé. Il faudra que je dise à mon jeune ami d’y aller un peu moins fort à la prochaine cibiche, déjà que je suis un morphinomane convaincu, si en plus, je deviens accroc à la marijuana je ne suis pas sorti de l’auberge.
— Ah ! Monsieur Leboeuf, quel bonheur de vous voir ! Bienvenue !
— Oui, merci. Bonjour docteur.
— Surpris ? hurla-t-il comme si j’étais muni d’un sonotone défectueux.
— Je dois admettre que votre coup de fil m’a quelque peu interloqué, mais après tout et vu votre air joyeux j’espère ne pas devoir m’inquiéter…
Il sourit aux anges, ses dents de cheval trop longues pour qu’il lui soit possible de refermer complètement la bouche sans qu’on les voie, il fixait le vide avant de revenir au pays des vivants.
— Comment vous sentez-vous, M. Leboeuf ?
— Bien. Très bien même. Je ne sais pas si ce sont vos plantes, mais je me sens ravigoté depuis notre premier rendez-vous. J’ai même gagné en vigueur si vous voyez ce que je veux dire ! lui avouai-je sans rougir.
— Vous êtes un filou, Monsieur Leboeuf. Vous avez la dent dure. Je comprends mieux votre méfiance envers la Chine, maintenant, mais voyez-vous, nous ne faisons pas que des fausses montres et du poulet radioactif. Nous savons prendre soin des autres aussi !
— Bien ! rétorquai-je, sans trop savoir où il voulait en venir.
— Monsieur Leboeuf, permettez-moi de rentrer dans le vif du sujet ; si je vous ai demandé de venir, c’est que je voudrais vous proposer quelque chose qui pourrait définitivement changer votre vie.
— Vous piquez ma curiosité, doc.
— Un petit voyage. A Shanghai. Une opportunité pour vous d’aller plus loin dans le traitement avec des personnes très très compétentes. De grands médecins peuvent vous aider. Mais ils ne se déplacent pas de notre mère patrie, malheureusement pour le reste du monde.
— Shanghai ? Je suis… enfin, vous me prenez au dépourvu, docteur.
— Oh ! Ne vous inquiétez pas pour les dépenses, c’est offert par votre belle fille. Sa famille est puissante là-bas, vous savez.
— Mais…je peux encore me payer un billet d’avion si j’en ai envie…je ne suis pas…
— Là n’est pas la question, Monsieur Leboeuf, Xia-He insiste beaucoup pour vous offrir le billet, c’est un honneur pour elle et un moyen de vous faire oublier le malentendu que vous savez et la vision erronée que vous pourriez avoir d’elle.
— Mais… si j’avais envie de voyager, je ne choisirais pas forcément la…
— …Chine ! Je sais Monsieur Leboeuf, mais vous avez la chance de vous familiariser avec nos coutumes. Peut-être changerez-vous d’opinion après que vous aurez passé quelques temps chez nous. Cela vous ferait du bien ! Le voyage offre le rayon perpétuel de la paix à nos esprits malades. Réfléchissez, Monsieur Leboeuf. Un guide vous accompagnera jusque là-bas, ne vous inquiétez pas. Pas de problème. Xia-He est une personne très bien organisée. Vous n’avez qu’à vous enfoncer dans votre siège et boire un peu de vin.
— Mais enfin, doc… vous n’êtes pas sérieux ? C’est une farce !
— Je suis très sérieux, Monsieur Leboeuf. Je viens de parler au téléphone avec votre belle fille pour régler les derniers détails de cette aventure.
— Arrêtez avec votre projet de voyage et ma belle fille ! D’ailleurs, je la connais à peine. Ça ne m’enchante pas du tout. Bon, écoutez, si vous n’avez rien d’autre à me dire, je vais vous laisser. Encore merci pour la proposition, me dépêchai-je de lancer en prenant la poudre d’escampette.
— Pensez à votre fils, Monsieur Leboeuf ! hurla-t-il, en me voyant accélérer le pas. Max serait content de vous avoir chez lui et de vous faire visiter ce qui est désormais son pays d’adoption.
Je suis parti du cabinet en courant, furax. Ses derniers mots résonnèrent dans ma tête jusqu’à m’abrutir. Je ne voulais pas entendre sa putain de phrase à la con pleine de sagesse et de bon sens. Au diable les proverbes chinois. J’avais besoin de respirer, j’étouffais. J’ai cru que je n’allais pas arriver jusqu’à dehors. L’ascenseur me parut d’une lenteur, je comptais les étages un par un à voix haute sous le regard amusé d’une gamine, bridée bien sûr, comme les 98% des gens de cet immeuble moderne du XIIIe arrondissement. J’étais encerclé. Je devais bien me faire une raison. L’invasion avait déjà commencé, et j’en perdais mon souffle avant l’heure du débarquement ultime.
Je faillis me faire renverser par la première voiture lorsque je tentai de traverser le boulevard.
L’Eurasien
Il était pile poil à l’heure, exactement à l’endroit que je lui avais indiqué, devant le guichet de Qatar Airways Business. Je me tins droit comme un I face à ce beau garçon. Une claque à mon âge et avec mes ridules. « Je m’appelle Christian » me lança-t-il en me montrant ses belles dents. Ils n’ont vraiment peur de rien ces niaks, Christian… et pourquoi pas Jésus…
C’était un croisé, un eurasien du plus bel effet, et poli avec çà. Voilà, voilà ce à quoi vont s’atteler les oppresseurs lorsqu’ils débarqueront ici, faire des gosses aussi beaux que celui-là, égrenant leur semence comme une trainée de poussière d’étoiles. Ça donnera plein de garçons comme lui, qui par leur simple présence, tordant le cou aux eugénistes chinois juste pour cette fois, symboliseront la toute puissance de l’occupant. Ensuite, les purs sangs s’affaireront à pomper toutes les vertus dont ces bâtards auront hérité afin de les mettre au profit de leur future progéniture. Le séquençage de l’ADN des surdoués prêts à générer des clones encore plus performants tournera à plein régime. La marche est en route…
Finalement, rien n’a vraiment changé. En regardant ce gaillard aussi solide qu’un rugbyman, je me dis qu’ils n’étaient pas fous les ancêtres, ils avaient tout compris, et pas besoin de bidouilles biotechnologiques pour imposer son patrimoine génétique.
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