LE PERIL JAUNE
Le péril jaune
De mon papi je n’ai que très peu de souvenirs, mais il y en a un qui prit tout son sens ce mois d’octobre, sur la falaise de Santorin alors que je m’apprêtais à déclencher mon appareil photos pour un cliché que j’estimais grandiose. Si je fus bousculé au sens propre comme au figuré, les souvenirs quand à moi, se bousculèrent et me ramenèrent des années en arrière, ou je n’étais qu’un môme avide de découverte et d’aventure. A vrai dire, tout était découverte. Tout était sujet à nourrir un imaginaire fertile et productif. Comment donc ne pas se faire happé par nostalgia lorsque par accident ou négligence, mes lunettes tombaient de mon front et troublait la photo du siècle, poussé par l’un de ces envahisseurs aux cris perçants et à l’odeur d’eau de Cologne quelque peu intempestive. Ça commençait à bien faire. Je n’allais tout de même pas me laisser faire aussi facilement. Après tout, ne suis-je point plus légitime dans ce coin du monde qu’eux, pensais-je en souriant. Eux, ces chinois venus par dizaine, centaine, millier, photographier l’un des plus beaux sites que compte notre belle planète. Eux, que mon papi surnommait de jaunes et d’envahisseurs, le fléau pour les générations futures, le péril jaune à coup sûr. Les chinois sont donc en route, et me voici bien mis entre un vieux chintoc tentant de se prendre avec sa tige télescopique pour faire un million de selfies tandis que la jeune donzelle d’à côté tente de prendre un papier qui sort d’une poubelle et reflétant je ne sais quelle portion d’art pour que cela mérite un cliché. A nouvelle technologie nouveaux comportements qui ne sont le plus souvent, guère maitrisés. Comment cela pourrait-il l’être alors que la vague perpétuelle de nouveautés pyrotechnolgique fait briller nos mirettes chaque mois un peu plus.
Mais çà, tous ces niacs m’arrivant dessus et m’encerclant, je ne l’avais pas vraiment prévu, pas vraiment vu venir. Et la phrase « Je te l’avais bien dit » même s’il ne l’utilisa jamais résonna en moi de la voix douce de mon papi chéri me mettant en garde contre l’envahisseur. Alors, suis-je plus en droit et légitime à Santorin parce que je viens du même continent que les grecques et pas les chinois. Ne devraient-ils pas me laisser passer au lieu de s’agglutiner autour de moi comme des mouches autour d’un pot de confiture. Qué misère. Il faut dire que la dernière fois, un peu moins de dix ans en tout et pour tout, la donne était toute autre. Je n’avais pas ce raz de marrée, cette vague de chinois à tous les coins de rue débarquant par troupeaux et étant il faut bien le dire, très bruyant. Dans un endroit comme Oia, ou on y cherche la sérénité au coucher de soleil je peux vous dire que c’est râpé. Il vous faudra vous éloigner si vous voulez être pénard et ne pas trop entendre crépiter appareils en tous genres se déchaîner sur les derniers rayons de soleil.
Alors papi avait-il raison ? Etais-je victime de la brume de Shanghai, alors même que Santorin n’est qu’un tout petit cailloux au milieu de la mer Égée. Comment se peut-il que tout Péquin vienne se photographier devant la Dunky Station ou les deux trois poulpes suspendus devant les bistros de la ville. Papi l’avait vu venir bien avant tous ces grands intellectuels et spécialistes des graphiques. Il avait senti le vent tourner et aurait pu s’appeler madame soleil sans même un seul papier.
C’est alors que, ayant pu m’extirper des deux groupes de chinois m’ayant cernés comme deux commandos prêt à faire feu, je me suis interrogé sur tous ces papiers à acquérir, ces diplômes à brandir et qui le plus souvent, nous sont montrés comme coupables et refus de poste clé parce que trop cher. Est-ce que tout ceci à vraiment du sens. Est-ce vraiment sain ? Ne nageons-nous pas en pleine contrariété digne d’une nouvelle de Kafka ? N’assurons-nous pas par de tels agissements notre perte à coup sûr ? Je suis certain que papi aurait une réponse. Je suis sûr qu’il aurait un avis sensé et posé sur la question, et il me le donnerait sereinement en croquant dans une pomme. Il me semble que plus les gens sont diplômés et plus ils manquent de l’essentiel. De l’essence, d’un savoir-vivre courtois et basique. Je ne parle pas même de protocole, non, juste d’un bonjour avec le sourire. Rien d’autre n’est plus motivant finalement. Votre boss pourra avoir tous les papiers inimaginables, si dans son trousseau de clés il n’a pas celle de l’entregent et de la civilité, il y a fort à parier alors, que toutes ces belles connaissances ne lui servent à rien sinon à s’admirer son beau nombril. Pourquoi donc des gens comme papi se voient hériter du plein de bon sens alors que d’autres sont en panne sèche de savoir-vivre ? Et le savoir-vivre, mes chinois s’y connaissent. J’ai beau avoir trouvé un coin tranquille, je suis vite rattrapé par une marié tenant ses souliers à talons à la mains et escaladant le muret pour se hisser face à la mer, sans même la regarder puisqu’elle s’admire dans son portable-miroire, avant le clic de LA photo number one pour toute chinoise du moment. Un beau cliché qui l’expédiera dans un cadre accroché au mur du salon. Car oui, Santorin est la 1ère destination des chinois, mariées et fausses mariées comprise. L’endroit où ils doivent aller absolument. Et voilà que ça recommence, que ça crie et que ça braille plus fort que le vent, et il y en a du vent sur la falaise de Oia je puis vous l’assurer. Un vent à décorner les bœufs. Impossible donc d’avoir la paix. Et la phrase de papi qui trotte dans ma cervelle en ébullition. Oui papi, tu avais raison, nous en sommes bel et bien là.
Devant cette chose si simple et belle qu’un soleil tirant sa révérence et se planquant après une journée bien chargée, j’ai pu pavoisé sur le monde dans lequel nous vivons. Cela fait du bien et si l’inspiration fut quelque peu gâché par la vague de furies sautillant de murets en murets, cela a au moins eu le mérite de m’emporter dans les méandres de mes souvenirs et de garder le sourire en pensant à papi. Après tout, nous sommes tous citoyens du monde…
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