LE MONDE (2 ème partie)
LE MONDE (2 ème partie)
Une année. Je n'en reviens pas comme le temps a passé. Je suis mal. Mal de me savoir dans cet avion volant vers l'Europe, mon chez-moi, alors que je devrais exploser de joie. Mais je suis triste. Et je sais que ça va être dur de revenir à la vie d'avant. Le peut-on ? Sans doute retrouve-t-on un travail, un appartement, de nouveaux accessoires pour nous sentir bien, mais nous ne sommes plus pareils.
Une année, voyageant toujours plus loin, traversant des déserts fascinants, des océans tourmentés et envoûtants, des contrées merveilleuses et enchantées.
Je me suis cherché. Partout. Dans les moindres recoins. Derrière les bosquets les plus difficiles d’accès, dans les mégalopoles bruyantes et polluées. J’ai tenté de me débusquer sans fards. Dans les lieux les plus improbables. En des situations inconfortables et incommodantes. J’ai soulevé des rochers, écarté des bottes d’herbes Pampas en m’entaillant la main. J’ai plongé dans des eaux profondes en y restant le plus longtemps possible. Jusqu’à me mettre en danger. Jusqu’à désespérer alors que je n’avais qu’à tendre l’oreille et ouvrir les yeux.
Là dans le tumulte d’un abysse tout proche et invitant, je réalisai qu’aller au bout du monde en s’imprégnant des plus belles choses, n’était pas garant à nous donner les clés de notre fonctionnement. De notre « moi » le plus vrai et le plus profond ; le plus évident.
Inspirer profondément la brise ou les alizés me caressant en était la plus grande preuve. J’étais bien là, tout près et attendant. Frémissant et tremblant à l’idée de découvrir des zones d’ombre. Empressé de consolider une intuition de plus en plus aiguisée.
Oui, j’étais allé aussi loin que les vents pouvaient me mener, croyant y trouver des morceaux de moi plus facile à recoller là-bas. Seulement voilà, et c’est bien connu, ce que l’on convoite est souvent sous nos yeux, là, à un doigt, un tout petit effort de nous tandis que nous semblons ne pas le voir ou ne pas vouloir le voir. Par confort ou simple mécanisme de protection, la vie ne nous ayant guère préservé.
Douze mois, tous plus chargés en souvenirs les uns que les autres, comme s'il m'avait fallu des décors fascinants et différents à ma construction. Comme si cela en était moins effrayant que chez nous, dans ma vie de tous les jours et avec mes propres repères. Comme si j'avais peur de ce que j'allais découvrir. Si peur, que me démasquer dans un décor idyllique ne peut que mieux se passer. Mais avant tout il me faut affronter mes démons, et c'est en terre inconnue que je décide de le faire. En cette terre, où s'il existe vraiment un Dieu, il semble être partout. J’affrontai un passé chargé de douleur, je ne m'en rendis vraiment compte qu'à ce moment-là, comme si j'avais évolué dans une bulle, que rien ne pouvait venir perturber.
Je décide de la percer. De la malmener. Et c'est ce que je fais. Il faut du courage pour la regarder sans baisser la tête. Bien plus que pour traverser une rivière où la rencontre fortuite avec un reptile géant risque fort de nous arriver. Beaucoup plus de bravoure. Et la chute, si chute il y a, ne peut qu'être plus douce là-bas, que dans ma petite vie misérable, chez moi. Mieux vaut-il se heurter à un soleil qu'à une vie déchue. Ça n'en sera que moins frustrant.
Trois cent soixante-cinq jours chargés d'émotions et de découvertes pour enfin me permettre de naître. D'être ce que je suis.
Alors, j'explose et implose à la fois. Je pousse mon cri au milieu d'un désert aride, après avoir nourri de pain toast une dizaine d'aigles affamés fendant sur moi comme sur une proie et attrapant, au vol, les morceaux de pitence que je leur lance.
J'aimerais pleurer. Je me contente de hurler de bonheur. C'est déjà ça. C'est même très bien. En tout cas, ça me suffit.
Toute la beauté du monde. Il me faut bien ça pour venir à la vie. La vraie vie. Être vivant. Avant, je ne l'étais pas vraiment. Je vivotais, m'évertuais à me fondre dans la masse de tous ces corps sans trop me faire remarquer, mais je ne vivais pas, je n'étais pas vraiment moi-même je m'en rends compte à cet instant.
Alors, je suis moi. Entier. Heureux sans en rougir. Je sais que les portes que je viens d'ouvrir ne peuvent se refermer. Tout au plus, m'amener à en ouvrir d'autres…
Je suis moi. Un moi que j'ai traîné dans les péripéties les plus rocambolesques et parfois périlleuses. Que j'ai laissé avoir faim et soif. Avoir peur… Ce moi-là, celui que nous recherchons tous et que nous mettons parfois toute une vie à trouver. Et que nous ne trouvons pas toujours. Que nous laissons parfons de côté comme s’il n’avait pas le droit d’exister.
Ce moi-là me plaît, me séduit, avec ses affres et ses balafres, ses nombreuses fêlures et sa rage qu'il canalise plutôt bien, au vu de ce qu'il a vécu. Celui-là m'enjolive, et c'est plutôt une chance en un jeune âge. Une aubaine, pour qui sait le supputer.
Oui, ce moi-là me convient bien. Il n'est pas si mal. Il peut se regarder dans la glace sans détourner les yeux, sans même rougir. C'est ce qu'on pourrait appeler : S'Aimer. Et c'est ce qui manque tant et tant. Je le découvre partout. Dans mon pays, mais aussi ailleurs, dans d'autres cultures. D’autres civilisations. Il n'y a pas de frontière. Pas de barrière.
C’est ce qui manque tant et tant, alors que c’est cela qui noue permettra de pouvoir aimer.
Alors, je rentre, triste certes, car je ressens la fin d'une période de ma vie déterminante. J'ai de la peine à la lâcher. Je voudrais qu'elle perdure. C'est un peu une petite mort, comme l'adieu à un ami. Comme si je perdais surtout le plus précieux des précieux : ma liberté.
Mais qu'à cela ne tienne, qu'est-ce qu'un peu de contrainte sociale dans une démocratie toujours plus en marge, face au trésor gagné ?
Tout ne pourra qu'être mieux, plus palpitant. Habité de cet appoint, j'ai le droit d'espérer courtiser les sentiments sans trop en avoir peur. Même les anciens, ceux que j'avais laissés ici, avant de tout quitter.
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