JUSTE LE BONHEUR
Juste le bonheur
Nouvelle
Didier Leuenberger
Petit à petit, jour après jour, au fil des aventures et des expériences, extrêmes pour certaines, je permets qu’on m’approche à tâtons. Doucement, en bon animal blessé que je suis.
J’ai laissé faire. Ai laissé tomber les barrières qui me protégeaient ou m’emprisonnaient, je ne sais quelle expression convient le mieux. J’ai permis aux mots de me soulager, aux étreintes de me réconforter.
J’ai enfin posé ma tête sur une épaule. Déposé les armes. Enfin, lâché la main du petit garçon me hantant, sans le perdre de vue pour autant. Jamais. La vie serait bien moins drôle sans lui. Tellement ordinaire…
La paix m’habitant soudain est plus que déconcertante, mais le calme dans lequel elle m’immerge est tellement agréable. Je l’épouse en un éclair, comme si mon intérieur avait attendu depuis toujours. Depuis la nuit des temps… Aussi violentes fussent les tempêtes, aussi brutale est la quiétude qui m’envahit comme tout bon occupant.
Je ne suis pas à la fête au début, et puis, appréciant de plus en plus ce que cela génère, j’apprends à dompter cette peur du bonheur. Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Une peur primale, m’ayant possédée et encore aujourd’hui, où chaque fois que je suis bien, qu’il y a réjouissance en mon for intérieur, j’ai l’impression que quelque chose va se passer. Que quelqu’un va le casser. Me l’enlever. Comme si je n’y avais pas droit. Comme si cela n’était pas gravé dans mes gènes, mes chairs, car ce doute-là est plus profondément estampillé que n’importe laquelle de mes certitudes.
Mais je me tais. J’élude cette faille et n’en souffle mot, j’espère éclipser ce cancer qui me ronge, cette plaie qui pourrait se targuer de m’annihiler en une fraction de secondes. Je passe sous silence cette étrange sensation. Je l’ignore. Pour la bonne cause. Pour ma cause en l’occurrence, en espérant que rien ne me tombera sur la tête. Il faut dire, qu’il y en eut des joies bafouées lorsque j’y songe. Des petits bonheurs massacrés. Des espérances tuées dans l’œuf. Plus que je ne peux m’en souvenir. Plus que je ne pourrais jamais imaginer.
Mais comme je l’ai toujours fait, je regarde devant. Ce qui est fait est fait. À quoi bon se remémorer. À quoi bon en vouloir. En vouloir au monde entier… La vie est tellement plus intéressante et encore plus maintenant que l’amour m’a touché. Le vrai. Celui qui ne devrait pas faire mal. En tous cas, le moins possible. Celui dénué de compromis, où qui semble en être dépourvu. Celui voué au respect. Celui paraissant presque distant alors qu’il est toujours tout proche. Celui là oui, je l’adopte et j’y crois. Celui là, j’ai envie de le faire perdurer. Je me sens respirer. Libre. Sans lanières sinon celle du manque que je devine lourd à porter si par malheur, il devait se concrétiser.
Aucune pression. Aucune concession et même ce mot paraît être contesté dans nos chairs. Nous ne le comprenons pas. Nous : ces deux êtres qui se complètent si bien depuis qu’ils se sont rencontrés.
Les projets nous sont communs. Les rêves, souvent analogues. Sans nous consulter, sans même en parler une seule fois. Tout semble s’emboîter sans la moindre difficulté. Sans le moindre effort. Comme un puzzle. A l’image de cet instant ou nos doigts se frôlent pudiquement dans un musée, tandis que nous ressentons la même émotion devant l’œuvre qui nous transcende.
Nous sommes surpris d’entendre la plupart des gens autour de nous pester contre les défauts de leur moitié jusqu’à les maudire certains jours. Tout ceci ne nous parle pas. Du moins, pas pour l’instant. Nous peinons à cautionner ces collègues vomissant les défauts de leur mari, conjoint ou ami au bureau, les ignorons tant cela nous paraît être contradictoire à l’amour.
Mais je ne suis pas dupe. Je sais trop bien qu’on ne peut trouver tout chez un seul être. Qu’il y aura toujours quelque chose qui nous manquera. L’être parfait n’existe pas, ou ce que l’on pense être parfait à nos yeux. Et le veut-on vraiment ? Je n’en suis pas si sûr… mais ce dont je suis certain c’est qu’il le devient au fil du temps.
Il faut se laisser aller. Se laisser apprivoiser, prendre ce dont on a vraiment le plus besoin.
Nous vivons donc pleinement, vivons au jour le jour. Sans exaucer d’autres prières que celle de passer du temps ensemble. Et de réaliser nos décisions que nous prenons souvent au matin, au gré du temps et des envies.
Nous ne nous interdisons rien, ce qui rend obsolète toute forme de possessivité. La seule convoitise que nous ayons, est celle de vivre le mieux possible à deux. Et de vieillir. Le plus longtemps possible ensemble. De nous protéger, de nous préserver sans pour autant être toujours en accord.
Nous discutons beaucoup. Dialoguons. Dialoguons encore. Dialogue qui, comme un architecte, aide à édifier notre maison. Notre nous à nous. Ce tout que nous formons. Qui nous donne une force incroyable. Qui nous confère tant de détermination et de constance dans nos actes. La constance : cet état permanent si fragile et nous paraissant pourtant si facile à garder. Que la plupart des gens n’arrivent pas à préserver. Ce tout, nous rendant si complices que cela se lit sur nos visages, dans nos petits gestes de tous les jours, nos attentions envers l’autre, lorsque nous sommes côtes à côtes. Complicité que nous ne pouvons renier. Qui semble inscrite sur nos minois de bienheureux tant et si bien que nous avons développés des traits identiques me semble-t-il. Une ressemblance étrange nous rendant coupables de ce bonheur.
Nous avançons dans la vie en parfaite harmonie. Nous haussons presque jamais la voix. Ne nous engueulons que rarement et le plus souvent terminons notre désaccord par des éclats de rires. Ça en est presque pesant pour moi. Voir accablant, mais je ne me laisse pas envahir par les doutes. C’est un apprentissage que je me dois de réussir. Le plus important jamais entrepris dans mon existence, à n’en pas douter. Je me connais bien. Je sais mes phobies, mes peurs et mes craintes. Je sais que ce ne sera pas facile. J’ai peur de ce commun, de ce calme gagné et engendré par ce nous que nous formons désormais. Peur qu’il ne tue une partie de moi. Il ne se peut autrement. Je le sais. Le sens au plus profond de mon âme. Même heureux, même comblé, il va de soit que je perdrai un peu de moi. Ce moi qu’il m’a fallu chercher si loin. Ce moi que j’espérai si fort. Qu’il me fallut conquérir à la sueur de mes angoisses. Que je battis non sans combattre. Oui, ce moi-là, je n’ai guère envie de le lâcher. Et j’ai terriblement peur qu’une relation comme celle-ci, s’il ne le brise, l’esquinte quelque peu.
Alors, je sers le poing dans mon dos en regardant le ciel étoilé, mon autre main entourant ce corps m’apportant tant et tant. Cette chaleur que je sais bienfaitrice et bienveillante.
J’ai encore de temps à autre envie de crier, mais je grince des dents et calme mon pouls qui s’emballe comme un cheval sauvage. Aucun mot dans ces moments-là. Aucun geste. Juste une chaleur mettant du baume au cœur et épanchant dans ces silences salvateurs, une soif de sentiments. Ma détresse silencieuse. La pression de ses doigts au bon moment. Tout est toujours à sa place. Semble parfaitement réglé comme si nous n’avions pas besoin de parler pour communiquer.
Je suis ému chaque jour un peu plus. Remercie tous les Dieux de m’avoir fait connaître cela, même si je sais que je le dois en partie, à moi-même et surtout à nous-mêmes. Deux volontés distinctes. Deux êtres cherchant la lumière ou je ne sais quel foutu précieux…
Je suis confus. Bouleversé le plus souvent devant cet amour me regardant si bien dans les yeux. Sans broncher, ni flancher. Sans même cligner des paupières. Il faut du courage pour aller chercher si loin derrière ce regard, l’autre, dont si souvent on a peur. Ou qu’on connaît si peu en vérité.
Nous semblons si bien nous évaluer que ça en devient parfois rageant. Désarmant. Affolant. Désorientant, mais je ne me perds pas en route. L’aiguille de ma boussole paraît plutôt bien en place.
Nous poursuivons notre voyage, oui, notre voyage. Nous voguons vers des mers inconnues, n’avons pas peur des courants ni des vents, des côtes escarpées et des embruns menaçants. Attisons notre curiosité en nous tournant vers des océans mystérieux et tourmentés. Nous n’en avons pas peur. Sommes prêts à les affronter. Nous explorons nos frontières, pour autant que nous en ayons. Saluons nos différences avec bienveillance, en sachant que ce sont elles qui feront toujours de nous ce que nous sommes. Nous y tenons, les choyons sans ne jamais tenter de les modérer ou de les aplanir. Bien au contraire.
Ni compromis, ni alliance entre nous. Juste l’envie de vivre ce que l’autre ressent. Nos couleurs se mélangeant pour créer la nôtre. Se diluant sans ne jamais renier nos racines afin de peindre une toile qui de loin comme de près, nous ressemblera, nous semblera riche et belle.
Ressentir ce que l’autre éprouve pour être encore plus en phase… Juste son bonheur. Juste le bonheur, et c’est déjà bien. C’est même, très bien.
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