Extrait de "Les Anges peuvent attendre... Le diable est bien trop séduisant !"
Cher Karl, mon petit, à toi je peux le dire : j’ai tué ton père. Du moins, je le crois.
Oh, rassure-toi, il n’a pas souffert, et de toute évidence tu ne m’en tiendrais certainement pas rigueur ! Mais tu sais comme je suis... Toujours trop bonne, trop à regretter, à ressasser. Trop poire, surtout... Sinon, j’y serais allée à la hache.
Mais tranquillise-toi, fils, je l’ai fait proprement. Sans tache ni fracas. Chaque jour à petite dose, monsieur ton père ingurgitait son poison dans son verre de vin de noix. J’avais vu ça dans un film. Il a toujours eu un penchant pour les liqueurs. Son péché mignon. Mon aubaine. Il m’aura coûté cher jusqu’au dernier jour, ce saligaud. Tu penses bien que c’est moi qui la lui achetais, sa petite douceur, comme avant, comme toutes les autres fois...
Quel radin, quand j’y pense !
Et me voilà ici. Dans ce grand, cet énorme pays dont j’avais toujours rêvé sans jamais pouvoir y aller. Dieu, que le ciel est immense ! Jamais je n’ai vu pareil champ d’étoiles ! Tu avais raison de dire qu’il était différent du nôtre. Du reste, tout est différent, ici. À commencer par ces saletés de crotales qui font sonner leurs grelots au bout de leurs queues, dans l’espoir de nous intimider. Mais ils ne m’impressionnent plus. Je sais comment les attraper, maintenant. Je sais même les dépecer et les cuisiner. J’en ai fait ma spécialité. Tu te rends compte, Karl, ta vieille mère en train d’arracher la peau d’un serpent à sonnette ! Tu dois sans doute écarquiller tes grands yeux, là où tu es, tant ça paraît improbable, et pourtant...
J’observe souvent les étoiles après le service, brillantes comme de vrais néons dans un firmament de satin noir. Je me dis que tu y brilles quelque part, et que d’où je suis je peux te contempler à mon aise. Ça me fait du bien. Ça me rassure. Car je te ferais remarquer que c’est un peu grâce – ou à cause de toi, que je me retrouve dans le fin fond du Nevada. À concocter les meilleures patates sautées de toute la région, voire de tout l’Ouest... Du moins, c’est ce que d’aucuns prétendent : les routiers, les cow-boys, et même les stars, fils. Pas plus tard qu’hier, c’est Bruce Willis qui a débarqué avec un de ses amis, pour les goûter. Je ne l’ai pas reconnu, bien sûr. Ce con de Bush pourrait venir se goinfrer de patates que je ne le reconnaîtrais même pas.
À vrai dire, je ne reconnais personne, car je ne connais pas plus ces messieurs dames du show-biz que les coyotes rôdant près de Little Bird. C’est le nom de mon petit restaurant – l’unique maison, un seul village à elle seule.
On appelle ce qui m’arrive une « success story ». Ta mère est une success story, fils, tu imagines ?
C’est ton vieux con de père qui doit se retourner dans sa tombe. Et crois-moi, il risque d’y rester encore un moment, avant de penser pouvoir te rejoindre.
Il va nourrir la vermine quelque temps encore, je pense. C’est un dur à cuire, il leur faudra de la patience, à ces bestioles rampantes.
Je ne dis pas que je monterai directement au ciel, surtout après ce que j’ai fait, mais lorsque je tends l’oreille, il me semble entendre davantage les anges que le crépitement des flammes de l’enfer. De toute façon, l’enfer, j’y suis en plein dedans, dans cette partie du monde, je ne peux qu’aller vers des températures plus clémentes... Mais je ne suis pas pressée, pas pressée du tout, le diable qui sévit ici-bas est encore bien trop séduisant pour que j’entende la lyre dont un de ces chérubins pourrait me jouer.
Qu’ils attendent donc, ces pâles angelots, ils sont bien, sur leurs nuages. J’ai encore à faire ici-bas, des tonnes de patates m’attendent pour être apprêtées dans les règles de l’art. Mais surtout, il y a un homme, Karl. Un compagnon, un confident, un ami. Eh oui !
Ouvrage à commander ici : Les Anges peuvent attendre... Le diable est bien trop séduisant !
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