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Critique Larmes Sèches, La Gruyère





LARMES SECHES DE DIDIER LEUENBERGER

Dans l'enfer de la violence

Pas besoin d'une nuit d'insomnie pour dévorer "Les Larmes Sèches", de Didier Leuenberger. Le livre de ce Veveysan, cuisinier diététicien de métier, se lit d'un trait. Son sujet : la violence conjugale, racontée par un enfant. Des mots pour dire les maux... Poignant.

"Là, je sais pas ce qui s'est passé, mais il est devenu comme fou. Ses yeux, ils étaient vachement bizarres. Il s'est mis à cogner dans tous les sens. Et pis tout d'un coup, il la tenait par un pied et par une main. Il a bloqué la porte de la cuisine avec un bout de bois et il s'est mis à tourner deux ou trois tours comme on fait l'avion aux enfants. Sauf que là, la tête de maman cognait à chaque fois la     porte (...). Maman quand elle a essayé de parler, y avait juste du sang qui glissait au bord de ses lèvres (...). Elle pouvait plus respirer. Je savais pas quoi faire, moi. Je me suis couché sur elle et pis je l'ai tenue, très très fort"...

LES YEUX D'UN ENFANT

Elle est terrible cette scène racontée par Didier Leuenberger dans son livre Larmes Sèches, remarqué au Salon du livre à Genève. D'autant plus terrible qu'elle n'est pas inventée. Pas plus que ne l'est la scène où maman menace papa avec le couteau à découper le poulet : "Tout peut arriver dans ces moments-là. C'est un autre monde, avec d'autres codes, en marge du réel", explique l'auteur.

Etabli à Grattavache depuis plusieurs années, l'écrivain parle de la violence conjugale qui a marqué au fer rouge sa propre enfance dans le Jura. Beaucoup a été dit, écrit et filmé sur ce phénomène. L'originalité de la démarche de Didier Leuenberger est d'aborder le sujet à travers les yeux et le coeur d'un enfant de dix ans. Il s'appelle Ludos. Son père Michel et sa mère Suzie. Le trio habite dans un  méchant bloc de béton planté au milieu des champs. "L'histoire se passe dans les années 1970, en pleine période de l'émancipation féminine", observe avec dérision Didier Leuenberger. Mais dans le bloc, la violence conjugale est quasiment la norme. Deux ou trois bières de trop, un mot de travers : pleuvent les insultes et les coups, débarque la police. Puis les choses se tassent. Jusqu'à la prochaine fois...

Ce livre, Didier Leuenberger l'avait déjà écrit il y a une dizaine d'années. Les éditions de l'Aire avaient repéré le manuscrit. Mais le projet ne s'est pas réalisé. En 2003, Didier Leuenberger à décroché la bourse d'encouragement à la création litéraire du Conseil D'Etat. Ce qui lui a permis de se consacrer à son livre, finalement publié par les Editions d'En Bas. à Lausanne.

"Pour moi, il était important que ce livre soit édité du vivant de mes parents", dit l'auteur. Comment ont-ils réagi ? "Ma mère est très fière que son fils ait publié un livre ! Mais, si elle a tendance à culpabiliser, elle a l'impression, aussi, que des choses ont été inventées. Que tout ça, finalement, n'était pas si dramatique ! J'ai le sang qui bout quand les femmes pardonnent. Je crois que cette facilité est spécifiquement féminine, comme si, dans l'homme qui bat, les femmes voyaient, quelque part, le petit garçon qui est en lui."

Et la réaction du père? "Je ne sais pas. C'est quelqu'un d'inadapté au bonheur. Je n'ai jamais attendu de pardon de sa part. Et j'ai pris assez de recul pour ne pas lui en vouloir. Depuis tout petit, je sais que cela ne sert à rien." Didier Leuenberger n'est pas loin de penser qu'il y a une sorte de fatalisme dans l'attraction qui se produit entre deux êtres, même pour le pire.

                       "AUCUNE HAINE"

Si le temps met du baume, toute cette violence laisse des bleus : " Ne voir ses parents se toucher que par la violence est déstabilisant pour un enfant. Serais-je comme mon père, plus tard ? Est-ce que je vais taper, moi aussi ? Ce sont les questions qui me hantaient, petit. Surtout que l'on ressent, enfant, une immense impuissance face à tout cela. Je n'ai aucune haine. Je trouve seulement très dommage que des gens bousillent leur vie et celle des autres. Paradoxalement, si cette violence m'a meurtri, ce que j'ai vécu m'a aussi endurci et fait mûrir. En moins d'une année, la période relatée dans le livre, je suis devenu adulte."

Car l'enfant a des ressources, des échappatoires, des refuges. Il a une imagination débordante, il reçoit beaucoup d'amour de sa mère. Et il a son jardin secret : l'écriture. " Je sais que ce que j'écris, c'est pas mal. Je sais que c'est pas vilain, parce que je me sens toujours tout calme après. Comme quand la neige elle recouvre les rues, et qu'on dirait qu'on est dans une boule de ouate, tellement il y a du silence", dit le petit Ludos.       

 MPA La Gruyère



04/08/2009
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