Cat COVID-19 ou lorsqu'un chat confiné se raconte Jour 2
Jour 2
Et voilà, ce qui devait arriver est arrivé. Alors que lorsque monsieur quitte son lit j’en profite pour roupiller une heure de plus, tout seul dans les coussins, je me retrouve à devoir garder ma petite place dans tout cet espace. Si ce n’est pas une misère, cette histoire. Et après on dit qu’on est possessifs et territoriaux. Je sens que ça va être la guerre ici, pour ce qui est des endroits que je m’étais attribués, en fait, presque tout l’appart, si j’y regarde de plus près.
J’ai bien l’impression que je vais devoir partager bien plus que de l’espace avec Maty, mais je crains pour mes coins stratégiques et préférés, comme le canapé, les fauteuils, la chaise de bureau et j’en passe et des meilleures.
Ce midi, Maty à eu une crise d’inspiration, il a commencé à cuisiner du poisson pour moi. Du vrai poisson je veux dire. Beurk ! Et moi qui ne l’ai connu jusqu’ici que sous forme de boulettes déshydratées, voilà-t-il pas qu’il m’inflige ce genre de texture pour le moins étrange. Si mes cousins sauvages se nourrissent de ce genre de bouffe, ça ne doit pas être la Fête tous les jours. Il m’a dit que c’est pour prévenir une pénurie de croquettes, au cas où… Il semble obsédé par cette histoire, comme si tous les magasins de croquettes avaient déjà fermé leurs portes.
Je m’inquiète pour sa santé mentale, au bout de deux jours, il a déjà fait quatre fois le ménage (ce qui implique cet aspirateur de malheur me faisant aller me planquer sur la plus haute armoire), fabriqué deux maquettes de navettes spatiales, confectionné deux pièces montées qu’il regarde d’un air dépité lorsqu’elles se sont affaissées inexorablement comme les deux tours jumelles du 11 septembre (je l’ai vu dans cette boîte à images, un vrai cataclysme). Et je ne parle pas des heures passées derrière son écran. Je ne sais pas quels sont les symptômes de ce virus, mais j’en mesure ici tous les effets secondaires.
Mais le plus embêtant bien sûr, et n’imaginez pas que je ne pense qu’à moi dans cette histoire, c’est sa sieste qu’il a décidé de faire depuis hier sur le canapé. Bon, OK, on peut s’arranger sur ce coup-là, même si avoir ses pieds dans les moustaches n’est pas le plus agréable. Mais c’était mon espace et mon moment à moi, cette heure de canapé-sieste. Enfin, je l’aime bien, je ferai un effort sur ce coup-là.
En soirée, avant qu’il ne s’attèle à cuisiner pour nous et m’apporter dans une assiette ma pitance sur la table, il m’a dit de venir vers lui, devant la fenêtre qui donne sur la terrasse. Il m’a regardé avec ses yeux de coupable éhonté et sans grande émotion il m’a lancé :
— Je sais, Boris, c’est aujourd’hui que tu devais sortir pour la première fois. Ça devait être le grand jour, et ne me regarde pas comme ça ! Sois content d’être dedans avec moi, pense à tes copains qui triment dehors sans rien avoir à manger. Bon, OK, d’accord, tu pourrais aller découvrir le monde extérieur sur le balcon, mais mieux vaut-il être prudent. Si tu décides de te prendre des grands airs d’explorateur et de franchir le kilomètre alentour, c’est avec les autres que tu vas finir ta vie dehors, parce que je ne pourrai pas venir te rechercher. Tu comprends, Boris ?
Je n’ai rien répondu, j’ai regardé des vieilles feuilles mortes virevolter devant mon museau, mais je vous le dis à vous, ça me fait une belle patte, toute cette histoire… Et sa promesse, elle est où ?
Heureusement, il y a Johnny qui brave tous les obstacles et qui vient me dire bonjour sur le rebord du balcon. Lui, je l’aime bien. Je le sens vraiment bien. Il me raconte le monde, dehors. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ça ne donne pas forcément envie. Il me parle beaucoup des humains. Il a, semble-t-il, cette faculté à pouvoir les analyser avec une aisance déconcertante. Il passe devant les centres de croquettes tous les jours, et voit les gens avec leur caddy plein à craquer. À se demander s’il va y avoir des lendemains… Il m’a dit qu’ils deviennent un peu tous dingues. Heureusement, son maître à gardé les pieds sur terre. Et il l’en remercie pour ça. Il n’a ni paniqué (enfin, pas encore) ni cédé à la folie ambiante, en courant dans le premier magasin pour dévaliser les rayons. Il est philosophe, comme Johnny m’a expliqué et même si je n’ai pas bien compris le sens de ce mot.ça doit déteindre sur lui. Son maître dit que la vie trouvera son chemin, parce qu’elle trouve toujours son chemin, mais pas forcément dans le sens que les humains l’entendent ou le prévoient. Que le réveil va être dur, après un tel fléau et qu’ils vont tous avoir la gueule de bois. Oh ! Bien sûr, le rassure-t-il toujours, pour les chats, ça ne change rien, pas encore, si ce n’est que certains se retrouvent avec leur patron dans les pattes, jour et nuit. Ce qui est mon cas.
Johnny m’observe depuis mon arrivée ici. Il semble fasciné par ma petite personne et encore plus, par le mode de vie de mon hôte. Il faut dire que j’ai commencé sur les chapeaux de roue, puisque nous étions trois, à mon arrivée. Mon Maty n’était pas seul, il y avait l’autre, celui qui est devenu le voisin du dessus et qui squattait les murs, déjà étroits de notre antre. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que la cohabitation entre ces deux lascars n’était pas de tout repos. Appartement des problèmes de territoire aussi, à moins que je n’aie rien compris. Un peu comme moi et Rocky, le lapin bélier avec qui je partageais mon espace, lorsque Ben, le lâchait dans l’appartement. Dès le premier jour où j’ai voulu m’amuser avec lui, j’en ai ramassé plein la gueule. Je croyais que les lapins c’était doux comme leur pelage, celui-là est un vrai fou furieux, il me cassait la gueule à chaque fois que sa cage s’ouvrait. De vrais combats de gladiateurs comme j’ai pu en voir dans cette boîte à images, avec mon Maty. Et ces combats dantesques furent assez souvent je dois bien l’avouer, une source d’engueulade entre Mathias et Ben.
En tous les cas Johnny semblait fasciné par les scènes qui se jouaient devant ses deux billes jaunes en nous voyant nous dépatouiller les uns avec les autres. Il y prenait même, un grand plaisir. À la maison, tout est si calme chez lui, que venir devant notre fenêtre, c’est un peu comme regarder la télé pour les humains.
Inutile de dire qu’il est très déçu de mon confinement. Il se réjouissait tant de pouvoir me montrer le monde, de m’apprendre plein de trucs et de m’aider à m’affirmer en bon chat que je suis. Mais il m’a aussi mis en garde, car dehors, c’est la jungle et la loi du plus fort. Finalement, ce n’est pas si différent qu’entre les humains, m’a-t-il affirmé un jour… Petites guerres de pouvoir, convoitises de territoires, de choses enviées, mêmes les plus inutiles, ou d’emplacements privilégiés ; l’égocentrisme est de mise et sans concession, et c’est souvent ce qui fait avancer certains chats bien peu scrupuleux pour arriver à leurs fins. Tout comme les humains.
Il est si intelligent, Johnny, que je l’écouterais des heures. C’est pour ça que lorsqu’il me voyait m’écraser tout contre la fenêtre tandis que mes gais lurons se bouffaient le nez, il n’était pas affolé plus que ça et me tranquillisait, car il sait reconnaître quand des personnes s’apprécient ou s’aiment, même si ça n’en a pas l’air. J’avoue que je n’ai rien compris à ses derniers propos et que je suis resté sans voix, mais il m’a dit que je comprendrais plus tard, lorsque j’aurai côtoyé plus d’humains et mieux compris leurs comportements pour le moins complexes ; ou discutables. Comme l’un de leur voisin, pris de convulsions délétères à peine le confinement et les amandes mises en place. Accroché à sa fenêtre, il surveille nuit et jour tout ce qui passe devant sa fenêtre et dès que certains de ses congénères enfreignent la loi, il téléphone à la police pour les dénoncer.
Le maître de Johnny lui a dit que ça lui faisait rappeler des périodes bien sombres, pour les hommes.
— Si pour un virus de cette envergure il y a déjà des comportements pareils, Johnny, imagine si on avait une grippe espagnole ou autre chose de bien plus grave ! lui a-t-il dit, en secouant la tête, un jour que la police interpellait une dame dehors, hors de son périmètre alors qu’elle venait soigner sa grand-mère.
Je n’ai qu’une chose à dire : vivement la fin de ce confinement.
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