1er CHAPITRE
1.
Au centre hospitalier François Quesnay de Mantes-la-Jolie, Martha inspira profondément lorsqu’elle émergea du coma artificiel dans lequel l’équipe médicale l’avait plongée durant plus de quarante-huit heures. Deux jours… un espace temps succinct et long à la fois. Où tout peut arriver. Y compris de perdre son enfant.
Aussi, regarda-t-elle d’un très mauvais œil l’arrivée des blouses blanches venant vers elle, le visage grave et la mine ombrageuse.
Le docteur Favier, un grand homme de presque deux mètres à la présence rassurante s’approcha de son lit d’un pas feutré. D’un air débonnaire, il saisit délicatement sa main, la serra doucement entre ses longs doigts sans ne rien émettre d’autre qu’un soupir. Martha ne pu retenir les larmes noyant son regard mauve. Elle tourna la tête vers la vitre donnant sur le couloir, y reconnut une silhouette à travers le store. Elle aurait mieux aimé ne pas avoir à lui dire ce qu’elle allait devoir lui annoncer. Un haut le cœur la terrassa lorsqu’elle réalisa cela et l’avenir bancal que présageaient les prochains jours pour ce petit bonhomme.
Elle ferma les yeux et retint un sanglot en imaginant la vie de Denis sans ses parents et qui sait, peut-être bientôt sans elle, sans personne. Lasse, elle se tourna vers le médecin, les joues mouillées d’une peine qu’aucun médicament, qu’aucune science, jamais, ne pourrait guérir. « Je suis désolé madame Clouzot, nous n’avons rien pu faire. Le choc fut si violent, qu’ils sont décédés sur le coup », termina le professeur, en tapotant cette main bosselée qui ne voulait plus le lâcher. Il montra d’un geste de la tête Denis. « Voulez-vous que je le lui dise ? » Elle serra les paupières et sentit une veine battre sur sa tempe jusqu’à lui fendre le crâne. Des larmes s’écoulèrent encore de ses yeux, avant qu’elle ne se laisse glisser dans un brouillard lénifiant. Une fuite salvatrice, même si elle ne pensa qu’à son petit-fils en cet instant où elle aurait mieux souhaité ne plus se réveiller pour ne pas avoir à affronter le regard de cet enfant ne demandant qu’à croire en la vie.
*
« J’me casse ! » brailla Johanna du bout du ponton 56 de la Marina de Sausalito, en Californie. Bras croisés, pieds nus et en robe de chambre, les cheveux tel un champignon atomique au-dessus d’un atoll, elle fulminait et était bien décidée à quitter les lieux au plus vite. Même dans cette tenue, qu’importe.
Le bateau de James Edwood s’emplit de lumière. Il faut dire qu’à cette heure-ci, on était plutôt sensé dormir dans les house boats, et non de s’étriper. Mais ils avaient tous pris l’habitude de ces scènes épisodiques entre Johanna et Will, aussi ne se gênaient-ils plus de sortir de la cabine pour s’installer confortablement dans un fauteuil à l’avant de leur habitation flottante, afin de mieux admirer le spectacle. Et cette nuit-là, le show semblait répondre à toutes les attentes, lorsque Will sortit de chez lui en tenue d’Adam, hurlant comme un damné. « C’est ça, tire-toi ! Vas te faire foutre une bonne fois pour toutes ! J’ai pas besoin de toi qu’est-ce que tu crois ! Allez, dégage ! Et ne reviens plus m’emmerder, tu m’entends, Johanna ! Plus jamais ! » finit-il, en levant les bras au ciel.
Il se rua à l’intérieur du bateau. Un bruit sourd s’ensuivit ainsi qu’un chapelet d’invectives lorsqu’il se cogna la tête à une poutre, avant qu’il ne ressorte avec un amas d’habits et d’affaires, tandis que d’autres bateaux s’allumaient et que de plus en plus de curieux s’installaient sur une chaise afin de suivre cette nouvelle bataille.
Will éleva le tas au-dessus du vide ou l’océan venait y mourir, le regard empli de défi. La marée était haute. Le doux cliquetis que faisait l’eau en frappant le ponton de bois semblait vouloir adoucir cette crise majeure.
Johanna eut des éclairs plein les yeux en voyant sa jupe de soie pendue au bras de cette brute sans cervelle. « N’y pense même pas ! »
Mais la menace fut vaine. L’eau engloutit robes et sous-vêtements, matériel de peinture et nécessaire de toilette aussi sûrement qu’un crapaud n’avale une sauterelle.
La jeune femme fit des bonds colériques sous l’œil expert de James se disant que finalement, ce ne serait pas la plus épique scène de ces deux hurluberlus. Il remarqua tout de même les secousses que le vieux bois devait supporter sous les assauts de cette furie, menaçant du doigt Will tandis qu’il lui faisait un bras d’honneur et s’en retournait au bateau, en jurant tous les Dieux et en maugréant nombre de blasphèmes connus et moins connus colorant si souvent son doux vocabulaire.
Il s’arrêta net, parut réaliser qu’il était nu comme un ver en voyant son reflet trouble dans la porte du frigo lui faisant face, se passa nerveusement la main dans ses cheveux bouclés en serrant les mâchoires. « Fais chier ! » ragea-t-il, en frappant du poing l’armoire, faisant vibrer la vaisselle rangée juste à côté. Un trou béant laissa apparaître la penderie où il rangeait vestes et pulls. Un sweat de Johanna le narguait. Il contempla les dégâts, passa un doigt à travers l’interstice pour y frôler le pull de la femme sachant le plus le mettre hors de lui, l’air pitoyable. Il se ressaisit en secouant la tête et sauta sur le quai en voulant héler Johanna. Mais cette dernière montait déjà dans sa voiture et filait vers Russian Hill où son appartement l’y attendait.
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