T O U S D E S A N G E S

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Handicapé de l'émotion

 

  Handicapé de l'émotion

 

Au matin, les persiennes sont traversées par la lumière. Le soleil zèbre son visage comme s’il était en cage. Comme si ce minois n’appartiendra jamais qu’au monde et qu’en aucun cas il me faut nourrir l’espoir de pouvoir le contempler chaque jour de plus que l’existence voudra bien me laisser vivre.

Je m’en veux d’émettre des doutes après une nuit durant laquelle nous fîmes si souvent l’amour. M’en veux d’interpréter des signes tels que ceux-là, mais le malaise est tel qu’il me faut bien trouver des excuses. Mais des excuses à quoi et envers qui, sinon envers moi-même.

 

Je me mords les lèvres, sens la nervosité me gagner à l’approche de son réveil. Que vais-je lui dire après cela ? Après toute cette tendresse, ce plaisir… Après tout ça. Quels gestes léguer ? Quels mots employer ? Combien de silences et en faut-il ?

 

Ses yeux s’ouvrent, se heurtent aux miens encore humides. Emplis d’émotion et de reconnaissance, ils scrutent mon corps pour la première fois en plein jour. Descendent doucement vers mes attributs que je n’ai pas même pris garde de voiler d’une part de drap.

Je semble être un animal blessé alors qu’en une nuit, il m’avait semblé avoir guéri. Mais guéri de quoi ?

 

Je suis aux abois alors que la sérénité peut se targuer m’avoir possédée en entier. Je plie mon genou, le plaque tout contre mon ventre. Sa main se pose sur ma cuisse, sûre d’elle, elle caresse la peau en me rendant à nouveau si petit.

Je suis ému, ai envie… ai envie d’aimer alors que mon poing droit est serré comme s’il voulait s’abattre sur un mur et le fissurer d’un coup.

 

Je devrais être heureux, je le suis sans doute, mais je n’arrive à ressentir. À savoir ce que cela veut vraiment dire. Et je m’en veux terriblement. Je sais déjà que ce ne sera pas sans conséquence.

Je soupire et inspire profondément, tourne la tête vers le mur de la chambre comme s’il m’était interdit de regarder. Pose mes doigts sur sa peau, caresse, caresse encore jusqu’à me décider à refaire l’amour. L’amour… Encore. Encore et encore. C’est si bon, mais cela ne peut durer. Nous avons une vie, un travail. Cela devrait me déranger, pourtant j’ai comme l’impression que cela me sauve.

 

Je me douche, m’habille en vitesse, prends ce corps dans mes bras, l’étreins maladroitement et ne dis rien, comme amputé du moindre mot.

 

Je me sens handicapé. Un handicapé de l’émotion, à n’en pas douter et j’ai peur de ressembler et de rejoindre mon père sur ce terrain glissant. Je ne peux m’empêcher de songer à lui. Tous ces traits, ces signes extérieurs : mes jambes, mon torse, la couleur de mes yeux, ma voix, mes mains. Comme je lui ressemble, moi qui semblais tant m’évertuer à tout faire pour que ça ne m’arrive un jour. Mais la nature est toujours vainqueur lorsqu’il s’agit des gènes.

Alors n’en déplaise à mon regard, au moins il me reste l’esprit et cet intérieur, que je sais, que je sens différent de celui du paternel. Pourtant, combien de fois ai-je eu la crainte phobique de calquer cet être insipide et si peu intéressant.

Combien de fois me suis-je fait violence, lorsque, en colère, je sentais la fureur m’envahir et capable de tout.

Combien de fois ai-je ravalé ma hargne grondant dans mon corps, pensant que le sang coulant dans ses veines n’avait suivi que son destin logique. Mais je me laissais un doute, tant que je n’avais pas vraiment toucher à l’amour et permis à tous mes sens de vibrer.

Je savais que mes futures relations allaient être Le Test dévoilant l’homme que je suis. Et voilà que je le fuis. Que j’en ai peur.

 

Je dévale les escaliers de l’immeuble, fonce au boulot, la tête prête à exploser. Je me déshabille en vitesse en lançant une ou deux vannes à mes collègues, puis rentre dans cette immense bibliothèque ou les livres et le savoir m’y attendent. Tout ce savoir ne m’ayant pourtant jamais donné la moindre réponse quand à mes doutes.

Il ne semble y avoir que les claques que l’existence sait si bien distribuer qui en soient garantes. De quoi se perdre. Mais perdu, je le suis désormais tout autrement, maintenant que mon corps s’est laissé emporter par la volupté. Un murmure heureux bourdonne à mes oreilles toute la journée comme une prière obsessionnelle. J’ai encore son goût en bouche. Même après avoir mangé, même après m’être lavé les dents, même après avoir mâchouillé un chewing-gum durant un moment. Et j’en suis heureux. 

 

Je dois patienter. Attendre une semaine que cet être délicieux revienne de Lucerne. Je ne pense qu’à notre prochaine fois. Ça en devient une obsession. Je ne mange plus, ne dors pour ainsi dire pas, et pourtant je continue à faire du sport, de courir, repoussant mes limites. Jusqu’à Coppet, jusqu’à Céligny. Jusqu’à Nyon. Toujours plus loin et plus vite. Il me semble pouvoir aller jusqu’au bout du lac sans même m’essouffler.



21/07/2011
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