T O U S D E S A N G E S

T O U S         D E S          A N G E S

Désamour

   Désamour

 

Je lui fais l’amour une dernière fois, comme si c’était le seul outil en ma possession pour communiquer. Et c’est bien le seul.

Je pense à mes parents, leur façon de parler, jamais douce, jamais tendre, toujours en reproches et toujours les mêmes depuis tout ce temps. Je me rends compte à quel point cela avait dû être déstabilisant pour ma mère, elle, qui est la douceur incarnée, elle, qui est la joie de vivre en personne.

Mais elle a choisi, même si c’était une autre époque, même si les chiennes de garde ne veillaient pas encore au grain et à l’intérêt des femmes, même si le vote ne leur était pas encore attribué dans certains cantons du pays.

 

Comme elle dut avoir mal, à moins que ce fût normal, ou du moins, pas si anormal que ça pour elle, comme si ses gènes ainsi que tout son vécu, l’y avaient préparée. Il n’y a pas de hasard, et surtout pas dans les relations. Rien n’arrive par hasard, je pense, mais ceci n’engage que moi.

Un beau jour, on se trouve, et même s’il nous semble ne pas être très compatible, on reste tout de même ensemble, et on se demande bien pourquoi.

 

Je tente de visualiser une étreinte, mais je me fourbe dans mon empressement et me perds dans des souvenirs, certes pas tous si violents que ça, mais je n’arrive à trouver un seul passage de ma vie à leurs côtés les montrant s’effleurer ou simplement se frôler. Juste se frôler, je ne demande rien d’autre à ma mémoire. Mais on ne peut inventer ces choses-là comme on ne peut inventer des sentiments que l’on n’a jamais reçus.

Rien ne vient. Je réalise combien ils se fuyaient et à quel point ils ne communiquaient pas. Jamais. Les paroles étaient lancées le plus souvent avec violence, et au grand damne de maman.

Puis, avec le temps, et au vu du peu de changement de son mari, elle commence à répondre comme lui, à faire comme lui, parce qu’elle sait bien que ce sera à jamais le seul moyen de communiquer un tant soit peu avec cet homme.

Elle aimerait des réponses à ses questions, garde espoir qu’un jour il s’améliorera, qu’il deviendra meilleur, mais dans un coin de l’appartement, un petit bout de chou de dix ans sait qu’il n’en sera jamais ainsi. Lui, observe sans jugement. Il constate, compte les coups, ne peut qu’évaluer les dégâts que lègue une telle relation, et se voit affligé de constater que c’est là le seul moyen pour ces deux personnages de se parler. L’unique moyen de se toucher. J’imagine ce qui peut se passer dans sa tête. Mais je ne l’imagine qu’aujourd’hui…

 

A vingt ans, j’ai plein d’espoir en moi. Je suis naïf, bien que balafré par l’existence, mais je veux croire à autre chose, justement parce que j’en sais les conséquences. Une force incroyable me possède et pourtant, après tout ce bon temps passé aux côtés de cet amour, après en avoir tant reçu et tant donné, j’accuse un intérieur empli de doutes. Mon passé me rattrape,  je le sens, et je ne peux rien faire pour lui échapper.

 

 

 

Je me plonge dans le rideau de mon studio et m’y enroule comme un cigare en admirant les dents du midi chatouillées par un soleil rougeâtre dardant ses rayons et semblant embraser le ciel.        Deux ans. Deux petites années durant lesquelles j’ai cru avoir été généreux. Assez du moins, pour me dire aimant. Mais cela n’a pas suffi. Ou plutôt, ne m’a pas suffi. Je n’ai pas assez dit. Pas assez de moi comme si cela était indécent. Comme si ça ne se faisait pas. La voix de ma petite maman résonne dans mon crâne. « Ne pas déranger ! Ne pas embêter les gens avec… avec quoi d’ailleurs ? »

 

Le jour se lève. Il rosit les montagnes décoiffées par le vent et surplombant le lac. C’est ici que j’habite, ici que je vis, mais plus pour très longtemps. J’ai pris ma décision, je veux partir. Partir pour de bon. Loin. Très loin. Le plus loin possible. Là où j’espère me trouver. Aux antipodes, là où on a la tête à l’envers. Peut-être que ça m’aidera. Peut-être que dans ce sens, je me comprendrai mieux. Arriverai enfin à exprimer ce que je ressens.

 

Je retourne vers le lit, observe ce corps, les yeux emplis d’admiration et ne pouvant cacher l’effet qu’il m’a toujours fait. Le désir me pousse à m’agenouiller, mais je n’en fais rien. Je résiste. Tout à l’heure, je lui dirai que je pars, que c’est fini, que j’aimerais qu’on reste amis. Je ne sais pas sa réaction. Si ça va faire mal, peut-être très mal. J’espère le moins possible. Soupçonne l’infidélité. Cela devrait me blesser, mais cela me rassure. Me rassure pour cette adorable apparition que fut cet amour-là dans ma vie.

 

J’ai envie de pleurer. J’y arrive pas. Je m’en veux. M’en veux terriblement de ne pas ressentir plus de douleur. Comme si ce qu’on avait vécu ensemble, ne valait pas plus de souffrance. Je m’en veux tellement de ne pouvoir l’éprouver. Tout mon être en semble incapable. De quoi se sentir mal. De quoi paniquer pour tout homme qui se respecte, et désireux de vivre une histoire d’amour. Une belle histoire au moins une fois dans sa vie. Histoire que l’on cherche tous, à n’en pas douter… Et si c’était le seul voyage qui vaille vraiment la peine de toute notre vie ?

 

 

Je lui vole quelque chose avant son départ. Quelque chose de personnel. Un pull. M’accroche à ce bout de tissu, me blottis tout contre cette fibre imprégnée de son odeur. Parfum que je ne pourrai jamais oublier, assurément. M’accroche à ce vêtement comme à une bouée de sauvetage.

Je suis bel et bien perdu au milieu d’un océan. Un océan sans fond, ni frontière. Un océan aux courants violents et malmenant les embarcations les plus solides.

Je me sens fragile. Fébrile et sans défense, alors que je vais découvrir le monde demain. Que l’aventure et l’inconnu me guettent partout. Peut-être la douleur voir la mort…  et c’est tout cela qui m’excite. Je ne sais plus trop, je ravale mes larmes. Toujours sèches, toujours aussi rêches. Ça fait mal, mais je m’endors quand même. M’endors avec son pull dans les bras, que je ne lâche pas. La nuit, dans la pénombre de l’inconscient les démons ne cessent de tenter de nous déstabiliser. Ils rôdent. Je les connais bien pour les sentir à tout moment, même si je tente de les ignorer le plus souvent. Et en l’occurrence ici, au moins jusqu’à demain, car demain, tout ira mieux, assurément. J’oublierai ce pull que je laisserai bien rangé dans mes affaires que j’aurai mises chez un pote. Oublierai même la porte ouverte qu’on m’a laissée entendre, car la séparation n’est consommée que d’un côté semble-t-il. Du mien. Mais ça, il n’y a que moi qui en sois si sûr à ce moment-là. Du moins, c’est ce que je m’efforce de croire. Ce que j’imagine.

 

 

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 © 2011 - Didier Leuenberger - Tous droits réservés. 





09/09/2011
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